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verte, il eut sans doute une de ces joies profondes que les savans connaissent seuls, et qui les paient en un instant de toutes leurs peines.

Ces expériences une fois terminées, Volta ne s’en tint pas là. Passant du domaine de l’observation à celui de la théorie, et partant de ce fait incontestable que le gaz qui s’échappe du fond des marais y provient d’une décomposition de matières végétales, il n’hésita point à croire que, partout où le carbure d’hydrogène nouvellement découvert par lui se rencontrait dans la nature, le mode de production de ce gaz était toujours le même. En un mot, il affirma que dans tous les cas le gaz qu’il désignait sous le nom d’air inflammable était dû à une altération lente ou rapide de matières organiques, et que, toutes les fois que la production de cet air était constatée quelque part, il fallait nécessairement supposer près de là, comme cause première du phénomène, la présence de substances végétales en voie de décomposition, alors même que l’existence de pareilles substances ne pourrait être vérifiée, directement par l’observation. Avec une telle hypothèse, admise comme une réalité démontrée, Volta expliquait hardiment la constitution de toutes les sources combustibles des Apennins. Dans les points, disait-il, où se révèlent-ces émanations, le sol renferme, à des profondeurs inconnues, d’anciens marécages, des tourbières, ou même peut-être des amas de houille enfouis depuis des siècles. N’a-t-on pas vu récemment, ajoutait-il, dans notre contrée des prairies et des champs fertiles, des villages ensevelis sous d’énormes masses de terre, sous des dépôts volumineux d’argile et des blocs de rochers gigantesques détachés du flanc des montagnes ? N’est-il pas probable dès lors qu’autrefois des portions importantes de la chaîne des Apennins se sont de même éboulées, et que dans leur chute elles ont recouvert de leurs débris des quantités prodigieuses de matières animales et végétales ? Celles-ci se sont décomposées peu à peu, l’air inflammable auquel elles ont donné naissance s’est accumulé dans de vastes cavités souterraines, et actuellement il s’écoule incessamment par d’étroites crevasses des parties superficielles du sol. Volta, qui était, comme nous l’avons dit, essentiellement physicien, et qui par conséquent attachait beaucoup plus d’importance à l’expérimentation qu’à l’observation, ne se doutait pas d’abord des mille petites objections que l’étude locale des sources de gaz combustible allait lui attirer de la part des naturalistes et particulièrement de la part de Spallanzani, le plus célèbre d’entre eux ; aussi avait-il la foi la plus vive dans sa théorie. Pourtant il était déjà chaque jour en butte aux critiques des gens du monde, qui lui reprochaient d’être engoué de sa découverte de l’air inflammable, et qui lui ci-