Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/539

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ques années avant 1839, il y a donc eu à Sassuno des phénomènes violens, un soulèvement brusque de matière argileuse, puis tout est rentré dans le repos, et, à moins de recrudescence nouvelle dans l’action souterraine, on peut présumer sans crainte de se tromper que, dans un avenir peu éloigné, toute trace de soulèvement y aura disparu, et que la salze se trouvera réduite à une simple émission de gaz combustible et d’eau salée s’effectuant à fleur de terre. Le mélange gazeux qui se dégage aujourd’hui à Sassuno est fort remarquable sous le rapport de la composition ; il renferme, avec un grand excès de gaz des marais, une petite proportion d’un carbure d’hydrogène plus riche en carbone, qui jusqu’alors n’avait été rencontré dans la nature que dans les gaz des sources de pétrole.

Le village de Sassuno est situé au cœur de la montagne, dans une région d’accès difficile, loin de toute ville importante. La seule voie de communication qui le mette en relation avec la ville la plus rapprochée, Castel-San-Pietro, est le lit rocailleux d’un torrent. Près de l’église, il n’y a pas d’autre habitation que la maison du curé. Les fermes s’élèvent isolément, à des distances souvent considérables les unes des autres, sur de petits plateaux en gradins ou sur le bord des torrens. Il n’est pas étonnant que dans une contrée aussi sauvage on n’ait pu recueillir que des documens fort incomplets sur les particularités qui ont signalé là poussée éruptive mentionnée par Bianconi. Il n’en est pas de même pour une autre salze, celle de Sassuolo, dans le Modénais. Celle-ci est presque en pays de plaine ; la ville de Sassuolo, qui l’avoisine, est déjà populeuse, et à très peu de distance se trouve Modène. Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait depuis longtemps attiré l’attention des écrivains qui s’occupaient de l’étude des phénomènes naturels. La célébrité dont elle a joui est due d’ailleurs en partie aux récits exagérés de ses éruptions qui nous ont été légués par les anciens naturalistes.

Pline rapporte que, sous le consulat de Lucius Marcus et de Sextus Julius, il arriva dans la campagne de Modène un tremblement de terre vraiment prodigieux. Deux montagnes se ruèrent l’une contre l’autre, s’entre-choquèrent avec un fracas effroyable, puis elles reculèrent, et à l’endroit de leur séparation on voyait de temps en temps s’élever vers le ciel une fumée mêlée de flammes.

Frassoni, qui écrivait en 1660, semble emprunter à Pline ses couleurs les plus noires pour peindre une éruption récente de cette salze : « Des tremblemens de terre bouleversent le sol, des flammes embrasent des collines entières ; des nuages épais couvrent Sassuolo et interceptent la lumière du soleil ; les hommes, les animaux, sont frappés de terreur, et, si une prompte fuite ne les dérobe au danger, ils trouvent bientôt la mort au milieu des élémens déchaînés.