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borner à diviser ces antiquités en chapitres et à les ranger par ordre de matières ; il aurait à peu près atteint le même but. Ceux qui le lisent n’ont guère d’autre visée que celle de s’instruire ; ils consultent M. Dezobry pour obtenir des lumières sur un point d’érudition, et il faut avouer qu’ils trouvent dans ce fonds ingénieusement amassé toutes les ressources imaginables. Nous n’en voulons pour preuve que la lettre onzième, que le voyageur gaulois envoie à son ami uniquement pour lui expliquer par le menu le calendrier romain. Nous ne connaissons rien de plus utile et de plus commode que cette lettre ; elle facilite la lecture courante des auteurs latins, en offrant la concordance perpétuelle, jour par jour, des mois et des semaines des Romains avec nos mois et nos semaines, et en faisant connaître les jours néfastes des diverses sortes avec leurs origines historiques. Grâce à ce calendrier, M. Jourdain lui-même, qui veut savoir quel jour il y a nouvelle lune, saurait sans effort à point nommé quels jours le préteur rendait ou non la justice, et pourquoi. Pour que cette lettre devienne simplement un chapitre sur le calendrier romain, il suffit d’ôter le commencement, trois lignes sur trente-cinq pages. Le Gaulois s’aperçoit qu’il n’a pas encore parlé de ce sujet à son correspondant, et il lui copie le calendrier du peuple-roi. Il est évident que le cadre disparaît entièrement devant l’importance exclusive accordée avec raison au fond du sujet, qui est de pure érudition et se compose de recherches accumulées et juxtaposées. Nous croyons donc que la suppression du cadre n’aurait pas nui à la valeur de l’ouvrage, et qu’elle l’aurait même placé à un degré plus élevé dans la hiérarchie des travaux littéraires. En d’autres termes, Rome au siècle d’Auguste eût été franchement du domaine qui relève de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Par la forme que l’auteur a préférée, ce livre se rapproche, sans se confondre avec eux, de ceux qui se soumettent au tribunal de l’Académie française et disputent les prix dont elle dispose.

En mettant de côté ce voyageur gaulois et sa correspondance, l’ouvrage ne perdrait rien de sa valeur réelle ; mais peut-être n’obtiendrait-il point le même succès. Trois éditions d’un livre si considérable prouvent qu’à ce point de vue de la faveur d’un public nombreux l’auteur ne s’est pas trompé. Il a voulu se faire lire (ne faut-il pas plutôt dire se faire consulter ?) dans un cercle plus étendu que celui des savans, et il a réussi. Il a écrit pour la jeunesse dont il connaît à fond les besoins et les études, grâce à l’expérience d’une vie entière aussi honorable que laborieuse. Son ouvrage est essentiellement éducatif ; son petit roman du Gaulois qui envoie ces lettres de la ville éternelle à Lutèce est la parcelle de miel mise au bord d’un vase où les écoliers ne seraient pas autrement tentés de se désaltérer. L’auteur ne semble pas tenir pour d’autres motifs à cette conception qui rappelle directement le Voyage d’Anacharsis. On s’en aperçoit assez à la petite place que le