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tionnelle, absolue, sans limites, et dans plusieurs provinces ils se livrèrent à d’imprudentes émigrations, à de tumultueux mouvemens qui ne purent être réprimés que par l’emploi de la force armée. Cette conduite venait en aide à. la noblesse, qui ne s’était ralliée aux projets de l’empereur que poussée par ses instincts de courtisans ; au fond, elle leur était hostile, et, comme propriétaire du sol, elle leur faisait une opposition sourde et persistante. Les émeutes des paysans parurent lui donner raison. « Le pays sera bouleversé, disait-elle, et la propriété n’aura plus de garanties. Voyez ces rustres auxquels on veut accorder la liberté ! Sont-ils capables de la comprendre ? Ils ne savent ni lire ni écrire ; ils n’ont ni crédit, ni capitaux, et ils sont dépourvus de tout esprit d’entreprise. Quand ils ne répètent pas leurs chapelets, ils s’enivrent. Ces mesures peuvent être adoptées dans les provinces polonaises, mais dans la Russie, jamais ! »

Il n’y avait qu’un moyen de vaincre cette opposition : procéder avec lenteur ; c’est ce que fit Alexandre. D’ailleurs il était soutenu par la partie éclairée de la nation. Les universités, les corps savans, le clergé blanc, la bourgeoisie, les écrivains en général, l’encourageaient, Peu à peu la noblesse abandonna son principe de statu quo ; mais elle se rabattit sur les moyens, et déclara qu’elle consentirait à l’affranchissement sans concession de terres. Elle appuyait ses exigences d’exemples empruntés aux pays d’Occident, citant les vilains qui, par leur émancipation, n’avaient reçu que la liberté personnelle. L’empereur fut inflexible. Il rappela aux comités provinciaux que la base de leurs délibérations était le rescrit du 20 novembre 1857, qui reconnaissait aux seigneurs leur droit de propriété sur le sol, et qui accordait aux paysans un domicile et les moyens d’exister.

Les travaux des comités devaient occuper trois sessions. Dans la première, on poserait les termes du projet, termes qui seraient soumis à l’approbation impériale ; dans la seconde, on devait discuter la marche à suivre pour en assurer l’exécution, et dans la troisième élaborer un règlement communal. Cette dernière session n’aurait lieu qu’après la promulgation de la loi sur l’émancipation. Il fallait naturellement connaître la situation nouvelle pour en apprécier les exigences et adapter la commune aux besoins nouveaux. Les comités députèrent chacun deux de leurs membres à Saint-Pétersbourg pour y porter le résultat de leurs travaux. Ces députés firent partie du comité supérieur d’émancipation, présidé par le général Rostovzof, et chargé de rédiger un résumé de tous les projets des comités provinciaux, de tous les écrits de la presse et de tous les mémoires qui lui étaient adressés. Ces projets, au nombre de trois cent trente et un, formèrent dix-huit volumes. Une nouvelle