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frappant le superflu, elle atteindrait le nécessaire. Au-dessous de 4,200 francs, il n’y a plus d’aisance, il y a la gêne, et ce n’est qu’au prix de sacrifices très durs qu’on pourrait répondre aux exigences du fisc. Il ne faut pas se laisser tromper par ce qui existe en Prusse ; la taxe des classes, qui pèse sur tout le monde, remplace notre impôt personnel et mobilier, qui est inconnu dans ce pays. On ne pourrait rien faire d’analogue en France sans frapper deux fois les mêmes personnes et pour la même chose ; cette existence de l’impôt mobilier basé sur le revenu est déjà un obstacle à l’établissement de l’income-tax, avec lequel il fait en quelque sorte double emploi. Cela posé, comment appliquera-t-on l’impôt du revenu ? qui sera chargé de le répartir ? quel moyen d’investigation aura-t-on pour s’assurer de la position de chacun ? Si on s’en rapporte à la déclaration, il est à craindre qu’il y ait beaucoup de fraudes. Si l’évaluation est faite par les agens du fisc ou par toute autre personne, on s’expose à beaucoup d’injustices. Les impôts qui soulèvent en France le plus de réclamations sont ceux où l’arbitraire administratif joue le plus grand rôle. Nous en avons la preuve dans l’impôt des patentes ; c’est celui dont on se plaint le plus, parce que les règles qui servent à en fixer la quotité sont un peu incertaines, et que l’application en dépend de l’administration. En Angleterre, on accepte la déclaration individuelle comme base de l’impôt sur le revenu, et cette déclaration n’est guère contrôlée que par la notoriété publique. Elle est cependant plus sincère qu’elle ne le serait chez nous. On respecte plus la loi, et on n’a pas pour le fisc la même aversion qu’en France. Malgré cela, il se commet encore chez nos voisins des fraudes considérables. M. Gladstone a cité l’exemple d’industriels qui, devant être expropriés pour le percement d’une rue, indiquaient comme élément de l’indemnité qu’ils réclamaient un bénéfice annuel de 48,000 francs ; le jury ne l’admit que pour 26,000 francs : ils ne l’avaient déclaré eux-mêmes à l’income-tax que pour 9,000 fr. ! Ils avaient donc trompé le fisc des deux tiers. La cédule d qui comprend les profits industriels, est celle qui crée le plus de mécomptes. On considère comme certain que, par suite de la fraude, elle ne donne pas la moitié de ce qu’elle devrait rapporter, et un homme des plus autorisés, M. Mac-Culloch, qui a étudié sérieusement la question, s’exprime ainsi : « L’impôt du revenu cause plus d’irritation pour les 5 millions de livres sterling qu’il produit que l’excise pour les 13 millions qu’on en tire (c’étaient les chiffres de l’époque où écrivait Mac-Culloch) ; par le fait de ces impôts, une grande immoralité s’est introduite dans les classes industrielles et commerçantes, on y a pris l’habitude du mensonge et de la déloyauté. » — Nous ajouterons que cette déloyauté a des effets très fâcheux au point de vue économique. Le commerçant honnête qui