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bert. C’est Robert qui de nouveau écrase les Normands, dans les plaines de la Beauce. Toutefois cette défaite n’arrête pas les dévastations du « sinistre marcheur » Rollon. Mis en demeure par les cris de douleur des peuples d’en finir avec ces ravages, Charles et ses conseillers prennent le parti, très politique par le fait, de transformer ces païens nomades en des chrétiens sédentaires. Ce fut l’œuvre du traité de Saint-Clair-sur-Epte, lequel céda au roi de la mer Rollon, avec le titre de duc de Normandie, toute la région neustrienne entre l’Océan et les rivières d’Epte, d’Eure et d’Aure. Robert, duc de France, fut le parrain du nouveau vassal converti. Charles eut, le jour de la prestation de l’hommage, une coupe amère à vider. « Les évêques, raconte l’historien des Comtes de Paris, ayant dit à Rollon qu’il devait, suivant le cérémonial, baiser le pied du roi, le pirate fit un bond en arrière, et s’écria : Jamais je ne fléchirai mes genoux devant les genoux de quelqu’un, ni ne baiserai le pied de quelqu’un. Comme on insistait, il ordonna à un de ses compagnons de faire à sa place ce qu’on exigeait de lui. Le soldat, non moins fier que son chef, refusa de se prosterner, et brutalement, prenant le pied de Charles, il l’éleva à la hauteur de sa bouche et jeta le roi à la renverse. Sa chute excita un grand tumulte, dominé par l’hilarité bruyante des barbares ; mais, au lieu de tirer leurs épées pour venger l’outrage, les seigneurs français joignirent leurs éclats de rire à ceux des Normands. »

La fortune cependant favorisait le roi Charles ; ces rives du Rhin, qui devaient fuir si longtemps devant la poursuite de ses successeurs, semblaient d’elles-mêmes aller à sa rencontre. L’année où les Normands s’installaient pour toujours à l’ouest de la France, la branche germanique des Carlovingiens s’éteignait. Cette Lorraine, dont Charles avait si maladroitement manqué l’acquisition, refuse alors de reconnaître le nouveau souverain des Allemands, Conrad de Franconie, et proclame le roi de France. Si celui-ci sait tirer parti de cette annexion spontanée, s’il travaille à s’implanter solidement au milieu de ce peuple austrasien, encore vigoureux de sève et de plus en plus français de cœur, son prestige est assuré en face des Neustriens féodaux, et la dynastie légitime est sans doute sauvée. Il n’en fut rien. Par un favoritisme éhonté, Charles, oublieux de la belle tâche qui lui est offerte à l’orient du pays gaulois, soulève contre lui les vassaux, et ceux-ci, de colère autant que de dégoût, reviennent à leur prétendant naturel, le frère d’Eudes, Robert, comte de Paris. Robert fait alliance avec le duc de Lorraine Gislebert, et bientôt les grands barons des comtés de Paris, d’Orléans, de Gâtinais, de Chartres, du Perche, du Mans, de Tours et d’Angers, la Neustrie presque tout entière se ligue pour avoir rai-