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même titre que Hugues Capet. Si dès cette époque les hauts barons, au lieu de rester isolés les uns des autres et cantonnés en quelque façon dans leurs franchises respectives, avaient formé une fédération, la royauté n’avait plus même de raison d’être. L’œuvre lente et continue de centralisation et de nivellement entreprise par les souverains de la troisième race était rendue impossible. L’unité française assurément ne s’en fût pas moins accomplie, car une foule d’intérêts communs et de hautes questions devaient fatalement produire à la longue l’agrégation de tous les peuples de la région gallo-franque, du Rhin jusqu’aux Pyrénées ; mais cette unité se fût faite autrement et peut-être beaucoup plus tard. Tout en se constituant en corps de nation, la Gaule eût conservé un certain nombre de centres secondaires et de petites capitales ; ses destinées eussent ressemblé davantage à celles de la Germanie. Les barons, qui se bornèrent en 987 à substituer des princes nationaux aux césars romains, ne songeaient point à coup sûr à cette immense clientèle des serfs, des clercs, des bourgeois, que leurs violences et leur orgueil devaient pousser ultérieurement dans les bras des rois gallo-francs. L’égoïsme inintelligent et hautain du patriciat féodal fit de plus en plus la partie belle à cet autre égoïsme royal, qui avait du moins l’avantage d’apparaître aux masses souffrantes comme une providence tutélaire. La suite des siècles montra qu’au demeurant les masses n’avaient fait que changer de joug, et que le grand justicier était devenu à son tour le grand oppresseur ; mais il n’en reste pas moins acquis que la royauté capétienne à son avènement eut aux yeux même des classes déshéritées qui n’avaient point concouru à l’élection un caractère essentiellement populaire.

Quelle était au juste, à cette date de 987, la mouvance politique du royaume de France ? Dans ses, actes législatifs, Hugues Capet se gardait bien de reconnaître les restrictions formelles que les féodaux avaient mises à son autorité. Bien qu’il y eût entre eux et lui une sorte de contrat synallagmatique, et qu’il ne pût rien entreprendre sans l’assentiment de ses pairs, Hugues Capet ne se tenait pas pour un suzerain pur et simple. En tout temps et en tout pays, c’est le propre des parvenus d’entrer hardiment dans leur haute fortune, et de se plaire aux fictions qui en agrandissent les limites. Ainsi ce duc de France, couronné de la veille, rend, comme le fera plus tard Louis XIV, des décrets obligatoires pour tout le royaume, il publie des lois générales, il renoue officiellement à son profit la tradition des Carlovingiens, dont il s’intitule le successeur. La révolution qui l’avait porté sur le trône avait entendu creuser un abîme entre le passé et l’avenir ; le Capétien, dans ses diplômes et ses ordonnances, affecte de jeter un pont sur cet abîme. Tout cela se réduisait en