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barbares a bientôt disparu, laissant quelques traces seulement dans le vocabulaire usité au nord de la Loire : on en a la preuve dans la rapidité avec laquelle se perdit la vogue populaire de ce Roman des Loherains, lequel chantait la suprématie de la race teutonique, suprématie toujours éphémère et mal assurée qui avait reçu le coup de grâce de la révolution nationale de 987.

En Lorraine même, il importe qu’on le sache bien, la langue tudesque, qui n’avait jamais pu dominer, avait fini par disparaître presque entièrement ; elle ne devait faire sa rentrée que sur l’extrême lisière du Rhin, et beaucoup plus tard. Le roman était l’idiome commun aux populations d’origine diverse qui habitaient ces territoires ; le roman encore une fois se parlait aux portes de Bruxelles et d’Aix-la-Chapelle. Au concile de Mouzon, dit l’historien des Comtes de Paris, le promoteur Aymon de Verdun en avait fait usage pour être compris des seigneurs lorrains. L’incorporation définitive de la Lorraine n’eût donc pas rencontré d’obstacle à cette époque dans la différence du langage ; on a vu que, loin d’avoir à redouter des antipathies de mœurs ou d’esprit, cette incorporation était au contraire vivement souhaitée par les peuples. Les rois de Germanie savaient là-dessus à quoi s’en tenir. Dès le commencement du Xe siècle, ils travaillent de toutes leurs forces à détruire en Lorraine ce qu’on appellerait aujourd’hui le parti français ; à vrai dire, il leur eût fallu tout détruire, car tout leur était hostile. Les Carlovingiens en revanche, malgré les appels réitérés de l’Austrasie, commirent tous l’insigne maladresse de ne point aller résolument s’établir au cœur de cette région rhénane qui, aux yeux des souverains leurs devanciers, était la position maîtresse de la monarchie gallo-franque.

À partir de Hugues Capet jusqu’à Philippe de Valois, en traversant les règnes glorieux de Philippe-Auguste et de saint Louis, la maison de France, toujours occupée à l’intérieur, paraît ne plus songer aux limites du Rhin. Les divers états formés du territoire entre la Meuse, le Rhin et les Alpes sont tous passés, sauf le Dauphiné, sous la dépendance de l’empire d’Allemagne. Un peu plus tard, au XVe siècle, on put croire un instant qu’un nouveau royaume intermédiaire allait s’élever entre la France et la Germanie. Le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, déjà maître des Pays-Bas, venait en outre de mettre la main sur l’Alsace et la Lorraine. La profonde habileté de Louis XI fit échouer ce projet. Au siècle suivant, Henri II recouvre les villes austrasiennes de Metz, Toul et Verdun, qui étaient regardées comme les clés de la Lorraine. On sait qu’Henri IV et Sully méditaient de réunir par un mariage cette dernière province à la France, puis de ressaisir le Luxembourg, le