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le sérieux et le silence qui régnaient dans le château la gênaient. Comme des guides invisibles, ils la suivaient partout. Mme de Villepreux, en outre, ne lui permettait pas de nombreuses distractions. Elle voulait que le travail commencé à Niederbrulhe continuât à La Marnière. Les leçons achevées, elle entraînait sa fille dans de longues promenades à travers champs, à pied, ou lui faisait visiter les chaumières des pauvres et les écoles des hameaux voisins. L’enfant se trouvait ainsi maintenue dans un cercle d’occupations constantes et solides qui la mûrissaient et lui faisaient envisager la vie sous des aspects virils. Un fonds de vaillance et d’entrain, qui était un don du ciel, permettait que sa gaîté n’y perdît rien.

M. de Villepreux ne faisait à La Marnière que de rares apparitions ; il y passait comme un fauve dans les bois, à la hâte. Si Gilberte questionnait sa mère, celle-ci détournait la conversation ou répondait par monosyllabes. Un oubli froid se faisait dans le cœur de l’enfant ; elle avait parfois envie de deniander à sa mère : Pourquoi un père ?

Un matin, — elle avait alors douze ou treize ans, — au moment où elle passait le long d’une terrasse voisine de l’appartement de sa mère, son attention fut brusquement attirée par les éclats d’une voix que la plus violente colère semblait aninier. Elle leva les yeux et aperçut derrière les vitres M. de Villepreux, qui allait et venait par la chambre en frappant du pied le tapis. Saisie d’une frayeur subite à la vue de ce visage enflammé qui se montrait à elle par éclairs, elle se jeta dans un massif d’arbustes. Sa mère était assise devant une table, immobile, la tête dans une main. M. de Villepreux marchait toujours, parlant et gesticulant. Des mots arrivaient aux oreilles de Gilberte, brisés, interrompus. Par instans, il s’arrêtait auprès de sa femme, qu’il semblait interpeller, tandis qu’elle restait à la même place, les yeux baissés, livide, mordant ses lèvres. Une fois il parut à Gilberte que M. de Villepreux employait le langage de la prière ; il joignait les mains. Mme de Villepreux tourna ses regards vers lui lentement ; sa poitrine se gonfla, puis elle secoua la tête d’un air de désolation. Il lui présenta une plume en pliant le genou ; elle la prit, hésita et la rejeta. Alors d’un bond il sauta sur ses pieds, et, hors de lui, avec un visage si terrible que Gilberte, blottie dans sa cachette, poussa un faible cri, il leva ses deux mains en l’air comme s’il eût voulu écraser d’un seul coup celle qui lui résistait. Mme de Villepreux était déjà debout, les deux bras croisés sur sa poitrine, le front haut, la figure empreinte d’une résolution inébranlable. — Adieu donc ! cria le père, et, l’écartant du geste, il s’éloigna en faisant voler la porte derrière lui.

Gilberte, plus morte que vive, se traîna un moment après dans