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la chambre de sa mère. Elle la trouva qui essuyait son front trempé de sueur. Le premier mouvement de Mme de Villepreux fut de la serrer dans ses bras avec un élan de passion. Elle posa ses deux mains sur les épaules de sa fille, et, la regardant au fond des yeux ; — Mon enfant, dit-elle, tu n’as rien vu et rien entendu… Me comprends-tu ?

— Oui, maman, répondit Gilberte d’une voix étranglée. Elie comprenait vaguement qu’elle n’avait plus de père. Gilberte en effet ne devait plus revoir M. de Villepreux.


III.

Gilberte rencontrait quelquefois à cette époque un jeune homme qui était un peu de ses parens par alliance, et qui habitait, au temps des vacances, un château voisin de La Marnière. René de Varèze avait quelques années de plus qu’elle ; mais, par l’insouciance et la gaîté, ils étaient presque du même âge. On s’apercevait de sa présence à La Marnière par le bruit et le mouvement qu’il y amenait. Gilberte avait entendu dire qu’il travaillait à Paris ; quand elle le questionnait sur le genre de travail qu’il y faisait, René répondait invariablement qu’il suivait des cours, et quand, avec un air de gravité qu’on était fort surpris de découvrir sur ce visage jeune et rieur, elle lui demandait de préciser : — Eh bien ! des cours,… beaucoup de cours ! Êtes-vous drôle !… Qu’est-ce que cela peut vous faire ? Répliquait-il.

Le mois d’octobre ramenait invariablement Gilberte à Niederbrulhe. Elle y rentrait avec un plaisir qui n’avait d’égal que la joie qu’elle éprouvait d’en sortir. Sa nature était de se plaire partout où elle était, et dans quelque situation qu’elle se trouvât. Ce pouvait être le résultat d’une éducation bien dirigée ; mais il y avait dans cette égalité d’humeur constante un don naturel qui se développait avec le temps.

Ceux qui l’observaient de plus près remarquaient cependant en elle une certaine exaltation qui se manifestait par de grands silences et les promenades solitaires où elle aimait à s’oublier. Quand ses compagnes la surprenaient dans un coin, le front pensif, en contemplation devant un insecte errant au milieu d’une touffe d’herbes, ou la voyaient marcher à l’écart, les yeux baissés, une fleur ou quelque baguette d’osier à la main, elles ne la taquinaient point, parce qu’elles l’aimaient ; mais se la montrant du geste : — Voilà Gilberte qui voyage dans les nues, se disaient-elles. Quelquefois Gilberte revenait avec la fièvre. Lorsqu’on lui demandait quels songes l’occupaient durant ces accès qui la prenaient à intervalles irréguliers : — J’arrange les choses, répondait-elle.