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troublé ; elle pleura cependant, et, par un mouvement instinctif, se pressa contre sa mère. Un portrait de M. de Villepreux était dans cette chambre, au centre d’un grand panneau ; elle y porta les yeux avec un sentiment d’inquiétude indéfinissable. Elle vit un visage pâle dont les yeux noirs, pleins de feu, semblaient la regarder, et que le reflet de la lampe animait d’un simulacre de vie. Ce n’était pas ainsi qu’elle le voyait en esprit. Tandis qu’elle le contemplait, cherchant à rencontrer dans cette image les traits de l’homme qu’elle avait aperçu un matin si terrible, sa mère l’embrassa de nouveau.

— Oui, reprit-elle, nous sommes seules, et nous ne nous quitterons plus.

Le lendemain, à son réveil, après une nuit pleine de rêves qui l’avaient fait s’agiter dans son lit, Gilberte trouva sur un meuble des vêtemens de deuil. Bientôt une femme parut, qui lui présenta les livres de la maison, et lui demanda ses ordres pour la journée. Comme Gilberte la regardait avec surprise : — C’est madame qui m’a prescrit de faire ce que je fais, dit cette femme.

Les autres jours ressemblèrent à ce premier jour. Gilberte avait le gouvernement de La Marnière. À la fin du mois, elle rendait ses comptes à Mme de Villepreux, qui lui adressait des observations comme elle l’eût fait à une intendante, sans impatience, mais sans faiblesse. Les premiers soins remplis, le reste du temps appartenait à l’étude. Cela lui rappelait Niederbrulhe ; il n’y avait de changé dans son existence que la partie brillante et gaie des récréations, dont il restait à peine quelques traces.

Mme de Villepreux, retirée dans son appartement, passait de longues heures avec des hommes d’affaires, dans les embarras d’une succession qu’elle tenait à honneur de rendre nette et limpide. Ce n’était pas une mince besogne, tout était en désordre. Le plus clair de son avoir menaçait d’y sombrer. Soutenue par un sentiment austère du devoir et du nom que portait sa fille, elle repoussa les avertissemens de son conseil, s’obstina jusqu’au bout, et, acceptant les charges et les éventualités d’une situation embrouillée par dix années de dissipations folles, auxquelles se mêlaient les coups d’audace des spéculations les plus téméraires, finit par acquérir la certitude qu’avec le temps et de l’économie elle s’en tirerait. Le soir réunissait la mère et la fille dans la même chambre, un peu lasses toutes deux du travail accompli. C’était l’heure de la musique et des lectures faites en commun. On causait aussi ; mais telle que Gilberte avait vu Mme de Villepreux au temps rapide des vacances, elle la retrouvait dans l’intimité de tous les jours, froide, rigide et pliée à une règle dont elle exagérait la rigueur. Le veuvage achevait l’œuvre d’une longue solitude endolorie par d’amers regrets.