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Jamais d’épanchemens, plus de ces effusions qui avaient marqué le moment du retour ; une sévérité constante, une attention minutieuse à ce que tous les devoirs fussent remplis à l’instant précis, une volonté arrêtée à ce que rien ne fût donné à la distraction. Elle faisait de la vie une tâche, et s’appliquait avec un soin bizarre à ce qu’aucune caresse n’en vînt altérer la ponctuelle austérité.

Un peu surprise d’abord et même affligée, Gilberte, qui avait pris l’habitude de la réflexion, ne se laissa pas décourager, et, tout en se soumettant avec bonne humeur à tout ce que voulait sa mère, elle s’appliquait à l’observer mieux. Elle ne tarda pas à s’apercevoir que, lorsque Mme  de Villepreux croyait ne pas être remarquée, elle attachait sur sa fille des regards pleins d’une tendresse indicible. Le reflet d’une joie intérieure inondait son visage ; elle avait des soupirs contenus qui gonflaient sa poitrine, ses lèvres s’entr’ouvraient comme si des baisers eussent voulu s’en échapper. Si Gilberte tournait la tête, tout s’effaçait. La surprise resta, mais l’affliction disparut du cœur de Gilberte.

Un soir, saisie par la contagion d’une fièvre qui courait le pays, elle se coucha la tête lourde et la peau brûlante. En une nuit, le mal fit des progrès rapides. Mme  de Villepreux s’établit au chevet de sa fille. Au travers de son délire, un jour, lasse et brisée, Gilberte crut la voir à genoux près du lit, tenant sous ses lèvres une de ses mains mortes qu’elle pressait de baisers muets. Délassée et comme rafraîchie par ces caresses, Gilberte ferma les yeux à demi, et sans retirer sa main s’endormit doucement. Au réveil, le front baigné d’une sueur bienfaisante, elle chercha sa mère du regard, et parut étonnée de la voir assise sur un fauteuil à quelques pas d’elle. Sa pensée confuse, et comme engourdie, la lui représentait dans une autre attitude. — Est-ce que tu n’étais pas là près de moi tout à l’heure ? dit Gilberte.

— Je ne t’ai pas quittée, répondit Mme  de Villepreux, sans donner à sa réponse plus de précision.

Elle se leva, prit sur une table une tasse où nageait la liqueur épaisse d’une potion et la présenta à la malade. Affaiblie, en proie à ce malaise que la fièvre laisse après elle, Gilberte secoua la tête avec l’expression du dégoût. — Il le faut ! dit Mme  de Villepreux d’une voix ferme.

Gilberte tressaillit. Deux fois déjà elle avait entendu ces mêmes paroles, prononcées avec le même accent. Elle avança soudain sa bouche au-devant du breuvage ; mais alors elle s’aperçut que la main qu’elle avait laissée inerte sur le drap était humide encore comme si des larmes en avaient baigné la peau. — C’est singulier, pensa-t-elle.