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Gilberte cependant regardait curieusement son interlocuteur. Elle souriait à demi, égayée par le son de sa voix, qui ne lui était pas inconnue. Tout à coup elle poussa un léger cri. — Eh ! oui, c’est moi, René, votre ami René de Varèze, qui a cueilli tant de cerises et croqué tant de noisettes avec vous. Êtes-vous grande !… Si nous nous embrassions ?

— Volontiers, répliqua Gilberte, qui rougit.

Deux baisers sonnèrent sur ses joues. — Ah ! cela fait du bien de se revoir et de sentir sous ses lèvres la fraîcheur d’un visage ami ! poursuivit René. Savez-vous bien que vous êtes magnifique !… On laisse une écolière, et on retrouve une demoiselle ! Voyez l’effet ! adieu le tu il s’est envolé ! Mais vous ou tu, qu’importe ? Êtes-vous aise de mon retour comme je le suis moi-même de vous revoir ?

— Certes !

— Alors nous recommencerons les belles parties d’autrefois. Je reste à La Gerboise six semaines ou deux mois pour le moins, peut-être plus, qui sait ?… toute une saison… Il paraît que j’ai fait des sottises.

— Vous ?

— Moi… Ah ! je ne suis plus le René du temps jadis. Je vous expliquerai cela,… c’est-à-dire non, je ne vous l’expliquerai pas. Quoique grande, vous êtes encore jeune pour cela. Ma grand’mère s’est fâchée, et je suis rentré au bercail.

— Alors je bénis les sottises qui vous ramènent.

— C’est gentil, ce que vous dites là. Cependant ne les bénissons pas trop. Elles me coûtent cher, et pourraient recommencer à ma première escapade… S’amuse-t-on ici ?…

— Hum ! cela dépend du sens que vous attachez à ce mot.

— Il n’y en a qu’un. On s’amuse quand on s’amuse.

— Ici on travaille, on lit, on visite les pauvres gens… On a toujours la tête ou les doigts occupés.

— Diable ! j’arrive à temps pour mêler un peu de gaîté à tout cela. Fiez-vous à moi pour que La Gerboise ne ressemble pas à La Marnière. À propos, on y danse dimanche prochain. Mme de Varèze, qui viendra tantôt solennellement dans sa berline, m’a chargé de vous inviter. D’abord, moi, je compte sur vous.

Quelques pigeons, attirés par l’orge qu’ils apercevaient dans l’herbe, voletaient autour de Gilberte et déjà posaient leurs pattes roses sur le sentier. René les regarda d’un air souriant. — J’ai connu leurs pères jadis.

— Vous en avez même tué quelques-uns avec votre carabine de salon !

— Raison de plus pour que je fasse connaissance avec les fils !