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feuilles sèches. Des chutes interrompaient sa marche, mais rien ne lui faisait lâcher prise, et il avançait toujours à travers le dédale de cette forêt microscopique où il n’avait pour se guider que son instinct et sa persévérance. Quelques pieds de terrain parcourus, — une distance énorme pour sa petitesse, — il arriva devant l’orifice d’un petit trou dans lequel il disparut soudain avec sa proie, rendu tout à coup plus alerte et plus vif par le triomphe. — C’est peut-être sa vie, se dit Gilberte, une lutte constante, une lutte contre tout !

Elle releva îe front, quitta le tertre d’un pas rebondissant, et regagna La Marnière. — Nous sommes attendues à La Gerboise, prépare-toi, lui dit sa mère.

Mme  de Villepreux avait prononcé ces quelques paroles avec un accent particulier. Gilberte, surprise, l’interrogea des yeux. — Oui, reprit sa mère, il y aura là quelqu’un que je t’engage à regarder.

VI.

Il n’en fallait pas darantage pour éveiller l’esprit d’une fille si disposée aux rêveuses méditations. Quelqu’un ? Ce ne pouvait être évidemment qu’un mari que Mme  de Villepreux avait en vue. Qui ? Sa pensée en un instant lui présenta le visage de toutes les personnes qu’elle connaissait. Elle secoua la tête. Enfin, lasse de chercher : — Je verrai bien, dit-elle.

Bien que distraite de l’aventure qui l’avait retenue au bord d’une route pendant an quart d’heure, Gilberte n’oubliait ni son cousin, ni les deux étrangères qui l’avaient enlevé dans leur voiture, comme autrefois les fées emportaient dans leurs chars les fils de rois et les paladins. Lui avaient-elles rendu sa liberté ? D’où venaient-elles ? De Paris, certainement ; mais où allaient-elles ? Quand Gilberte arriva à La Gerboise avec Mme  de Villepreux, il y avait beaucoup de monde ; René n’y était pas. Elle pensa que le vent soufflait aux folies ce jour-là ; mais, comme il n’était pas dans les habitudes de son caractère de s’abandonner jamais, elle se mit à regarder autour d’elle et à examiner les physionomies, dont plusieurs lui étaient inconnues. Sa pénétration même était intéressée à deviner laquelle devait plus particulièrement attirer son attention. Vers le milieu de la soirée, se penchant à l’oreille de Mme  de Villepreux : — N’est-ce pas ce monsieur grand, qui a un ruban rouge à la boutonnière si bien dissimulé que malgré soi on le remarque ? dit-elle.

— M. de Vézin ?… Oui. Regarde toujours. Il vaut mieux que son ruban.

Il était près de minuit, et l’on pensait à se retirer, lorsque René