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parait de lui ; s’il en souffrait, ce serait qu’il la regrettait. Elle verrait mieux, à leur prochaine rencontre, si la semence avait fructifié. Gilberte cependant ne fut point fâchée qu’un hasard lui fournît enfin un prétexte de se rendre à La Gerboise. Elle trouva devant le perron une bonne dame qui tenait dans la maison l’emploi de gouvernante. Son air de tristesse la frappa. Point de bruit autour du château. Un chien de chasse, que René avait toujours sur ses talons, vint à elle lentement, remuant la queue, et la regarda d’un air inquiet, qui semblait la questionner. — Qu’y a-t-il ? demanda Gilberte.

— Mademoiselle ne sait pas ? M. de Varèze est parti.

— René ?

— Hélas ! oui, hier dans la soirée, assez brusquement.

Mais déjà Gilberte ne l’écoutait plus ; elle était entrée chez Mme  de Varèze.

— Est-ce vrai, et quand reviendra-t-il ? dit-elle.

— Dans trois mois peut-être, ou dans trois ans, murmura Mme  de Varèze.

Gilberte, qui était devenue fort pâle, s’appuya sur le dossier d’un grand fauteuil. — Madame exagère, répliqua la gouvernante, qui l’avait suivie, madame sait bien que M. René a reçu une lettre de Paris par le courrier du matin, une lettre qui lui vient de son homme d’affaires. Il s’agit de signatures qu’il faut mettre au bas de certains actes. Dans une semaine ou deux, il sera de retour et pour longtemps.

Tandis que la bonne dame parlait, Mme  de Varèze, qui avait les mains plongées nerveusement dans une corbeille à ouvrage, cassait des brins de laine coup sur coup. Un ordre à donner appela dehors la raisonneuse. La porte refermée, Mme  de Varèze éclata : — Cette excellente Mme  Jordan me fera mourir avec ses histoires d’hommes d’affaires et de signatures ! s’écria-t-elle. L’homme d’affaires est une veuve qui n’a peut-être jamais eu de mari ! J’ai eu le tort de la recevoir… J’aurais dû me méfier de l’étourdie qui me l’a présentée. Vous l’avez vue,… une grande blonde qui a toujours l’air de sortir d’une boîte de poudre de riz, avec des cheveux tout ébouriffés, autour du front.

Mme  de Genouillac ! murmura Gilberte.

— Ah ! vous l’avez remarquée ? Je crois bien que tout est faux en elle, les cheveux, la particule, la fortune. Il n’y a que la coquetterie et les mines qui lui appartiennent. Je pensais que René était rompu à ces manèges. Il s’y est laissé prendre comme un oison. La lettre dont parle Mme  Jordan est arrivée à point nommé, au moment où mon aventurière partait pour les Pyrénées. Deux heures après, il