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front, d’une voix qui avait la douceur d’un souffle et l’impérieuse autorité d’un commandement : — Tu te garderas à lui, reprit-elle. Quand sa tête de nouveau se posa sur l’oreiller, elle ne respirait plus.

Les dernières cérémonies achevées, la meute des créanciers accourut. Ils songeaient à dépecer La Gerboise. Une lettre arriva qui portait le timbre d’une ville d’Italie, et par laquelle René donnait à Mme  de Villepreux tout pouvoir légal de le représenter. M. de Porny devait l’assister dans la tâche difficile de débrouiller cette succession. Par quelques mots embarrassés, il la priait en finissant d’excuser son absence.

Le papier timbré pleuvait. M. de Porny se mit à l’œuvre déterminé à suivre jusqu’au bout les instructions de Gilberte, qu’il admirait et qu’il blâmait.

— Vous ne sauverez la terre qu’en l’achetant, et, comme on sait que vous la désirez, lui dit-il, on vous la fera payer plus cher qu’elle ne vaut. D’un autre côté, et ce n’est pas le moins grave de la question, vous échangez de bonnes valeurs industrielles contre une propriété qui ne vous rapportera pas le quart du revenu que vous perdez.

— Je le sais ; mais je n’ai pas besoin d’être riche. Ce revenu d’ailleurs, avec ce qui me reste, est plus que suffisant pour me faire vivre largement. Arrangez-vous seulement pour que La Gerboise sauvée soit à l’abri de toute folie nouvelle.

— Et lui soit conservée en même temps ?

— Oui, je réponds de moi ; mais je ne réponds pas d’une maladie.

— Eh bien ! il faut par un acte authentique lui en léguer l’usufruit en cas de décès, et en laisser la nue propriété à ses enfans nés ou à naître.

Ce dernier mot fit passer un léger frisson sur le visage de Gilberte. — C’est cela, dit-elle, arrangez tout avec mon notaire.

Mlle  de Villepreux ne songea plus à retourner à Paris. Elle avait fait son royaume de La Marnière et de La Gerboise, qui désormais lui appartenait. Ces campagnes qui lui rappelaient ses meilleures et ses plus douloureuses émotions lui étaient chères par tout ce qu’elle avait laissé d’elle-même le long des sentiers et des bois. Pas un chemin creux, pas un buisson, pas un bouquet d’arbres, pas un pont fait d’une planche et jeté sur un ruisseau qui ne lui rappelât une pensée, une sensation, quelque chose qui s’était dégagé de sa jeunesse, et qu’elle retrouvait mêlé et confondu avec cette nature dont tous les aspects lui étaient connus. C’était l’histoire intime de sa vie écrite avec des plantes et des arbrisseaux, des cailloux et des