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— Ah ! voilà une chose à laquelle je n’avais point songé !

— Et qui est bien possible, n’est-ce pas ?

— Vous ne me croiriez pas, si je vous disais le contraire, et cependant je déteste ces folies !

Rentré dans l’intimité de Gilberte, il était impossible que René ne fit pas quelque retour sur le passé. Un grand sujet d’étonnement pour lui était de voir si paisible et si doucement unie celle qui l’avait tant aimé. Il subissait l’attrait de cette égalité d’humeur, tout en ayant quelque dépit de la trouver si constante ; quelque chose venant de lui qui l’eût troublée lui aurait fait plaisir. Il pensa d’abord qu’il y avait quelque projet de mariage dont on ne lui parlait pas. Il chercha, et ne découvrit rien. Mlle  de Villepreux n’était pas d’un âge cependant à renoncer à tout établissement. Il en vint à penser qu’elle n’avait peut-être pas oublié ses premiers sentimens, et qu’il n’était point impossible de tirer une étincelle de ces cendres encore chaudes. Il changea donc de language et d’attitude auprès d’elle ; ce ne fut pas l’effet d’un calcul, mais celui du charme qu’elle exerçait. Gilberte s’en aperçut bientôt. Elle fut douloureusement impressionnée de cette découverte. Bien loin de la flatter, cet hommage tardif la blessait. Il n’arrivait pas à son heure. M. de Porny, qui avait fait la même remarque, s’en ouvrit avec elle. — Si vous vous appelez enfin Mme  de Varèze, lui dit-il, aurai-je toujours mes libres entrées à La Marnière ?

— Pourquoi non ? répliqua-t-elle en l’observant.

— Ainsi vraiment vous y pensez ?

— Non, mais je voudrais avoir votre avis sur ce point.

— Hum ! l’affaire est délicate ! Si vous aimez toujours M. de Varèze, mes observations sont d’un poids léger. Si vous ne l’aimez plus, ce n’est pas moi qui vous conseillerai jamais de l’épouser.

— Je me consulte. Je ne l’aime plus assez ou je l’aime encore trop, comme vous voudrez. Les deux choses peuvent être également vraies. Le premier mouvement, quand j’ai vu clair dans sa pensée, a été l’effroi. Je me croyais si bien à l’abri de toute émotion nouvelle !… Mais, quand je pense aux choses que j’ai vues, je sens dans mon cœur des froideurs de glace. C’est comme si de la neige coulait dans mes veines. Cette vie, telle que nous la menons en ce moment, me suffisait jusqu’à la fin de mes jours.

— Le croyez-vous ? M. de Varèze peut se briser contre une invincible résistance, s’il essaie de sortir de sa réserve ; mais vous pourriez lui en vouloir beaucoup, s’il y persistait.

— Qui peut vous le faire penser ?

— Vous êtes femme.

Les promenades de Gilberte et de René les ramenaient souvent