Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle eut quelque peine à y consentir ; mais, vaincue enfin par ses observations : — Allez, dit-elle, mais revenez vite.

Les deux ou trois heures qu’elle passa dans une chambre d’hôtel lui parurent éternelles. Avait-elle bien fait son devoir en laissant pendant de si longs jours et sans un souvenir celui auquel elle aurait voulu consacrer sa vie ? L’orgueil ne l’avait-il pas mal conseillée ? Chaque moment de leur commune existence lui revenait à la mémoire, et sa pensée s’arrêtait avec plus de complaisance sur ceux qui le lui faisaient voir jeune et gai sous les ombrages de La Gerboise. Elle entendit enfin le pas de M. de Porny. — Eh bien ? dit-elle en courant à lui.

— Venez, répliqua-t-il.

Une voiture légère les attendait à la porte. Elle y monta un peu étonnée de cette réponse laconique, et partit bien enveloppée d’un manteau et d’un voile épais. La route se fit silencieusement. M. de Porny semblait absorbé dans des réflexions dont il ne sortait que par monosyllabes qui jetaient Gilberte dans de nouvelles craintes. Ils arrivèrent ainsi devant une haie vive, qui fermait un jardin à l’angle d’une rue écartée. — Regardez maintenant, lui dit-il.

Gilberte pencha la tête. — Dieu ! s’écria-t-elle, est-ce lui ?

M. de Porny fit un mouvement de tête affirmatif Mme  de Villepreux avait devant elle, assis sur un banc, se chauffant au soleil, un homme auquel il eût été fort difficile de donner un âge précis. Les deux coudes sur ses genoux et le menton pris dans ses deux mains, René était comme pétrifié dans l’attitude de l’accablement. Ses regards ne voyaient rien, sa bouche n’exprimait rien. La lumière qui tombait sur son visage en éclairait en plein les rides et la fatigue. On y voyait les traces douloureuses des ravages exercés par des années dont Gilberte n’avait pas le secret. Les tempes étaient nues, les joues creuses. Ce n’était pas un vieillard, c’était un homme en ruine. — Lui ! lui ! répétait Gilberte à demi-voix.

Un enfant qu’elle n’avait point encore aperçu sortit alors d’un bosquet voisin. Elle tressaillit à sa vue. C’était un petit garçon qui pouvait avoir quatre ou cinq ans. Il courut en jouant jusqu’auprès de René, et, laissant là son cerceau, chercha à grimper sur ses genoux. Tiré de sa tristesse par le babil et les agaceries de l’enfant, M. de Varèze le caressa doucement ; un sourire passa sur son visage flétri, qui changea subitement d’expression : Gilberte revit comme dans un éclair l’aimable jeune homme qu’elle avait connu autrefois. En ce moment, René tenait le petit garçon entre ses bras et l’embrassait avec une tendresse passionnée. Gilberte se tourna vers M. de Porny, et lui jeta un coup d’œil où se lisait une question.

— Oui, répondit le vieux Parisien, qui l’avait devinée.