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Un frisson rapide contracta les lèvres de Mlle  de Villepreux, qui de nouveau dirigea son attention sur le père et l’enfant. Tandis qu’elle examinait celui-ci curieusement, une voix de femme appela Henri. L’enfant sauta vivement à terre, et courut du côté de la maison aussi vite que ses petites jambes le pouvaient porter. Il y avait comme de la peur dans cette rapide obéissance. Au même instant, Gilberte aperçut à travers le feuillage la silhouette d’une femme dont la robe traînante balayait le gazon. Elle avait reconnu le timbre de la voix, elle reconnaissait à présent la forme qui s’effaçait derrière un rideau d’arbustes. — Ah ! je comprends tout, murmura-t-elle.

— Restez ici, ne vous montrez pas, lui dit alors M. de Porny. Je vais rejoindre Mme  de Genouillac, à qui j’ai demandé un rendez-vous. L’entrevue ne sera pas longue ; aussitôt achevée, je reviendrai. Trop absorbée par ce qu’elle avait déjà vu, Gilberte ne s’informa même pas de ce que son compagnon allait faire auprès de la comédienne, et reporta son attention sur le jardin. L’enfant disparu, René était retombé dans son immobilité. Il n’en sortait par momens que pour repousser des feuilles mortes du bout d’une canne qu’il tenait à la main, ou tracer des lignes sur le sable. Il les effaçait et recommençait. De la distance où elle était, Gilberte ne pouvait voir s’il écrivait des caractères formant des mots. Tout cela était fait d’un mouvement machinal. La pensée semblait absente.

Un instant vint où Mlle  de Villepreux n’y tint plus. Elle descendit de voiture et s’approcha de la haie qui la séparait de M. de Varèze. De la place qu’elle avait choisie et d’où elle ne pouvait être vue par le cocher, qui s’était éloigné sur son ordre, les traits de René lui apparurent plus distinctement dans leur épuisement. Une grande pitié s’empara d’elle, et avant même d’y avoir réfléchi : René ! s’écria-t-elle.

René sauta sur ses pieds. On aurait dit qu’une étincelle électrique l’avait touché. Il l’aperçut et courut vers elle. — Gilberte ! Ah ! je savais bien que vous ne m’abandonneriez pas !… Vous me sauverez, dites ?

Hors d’elle, Gilberte lui tendit ses mains par-dessus la haie, et saisissant les siennes qu’elle étreignit : — Oui, je te sauverai ! reprit-elle, n’es-tu pas ma chose et mon bien ?… Compte sur moi ! René baisait les mains de Gilberte, et ses larmes coulaient dessus.

— Ah ! vous avez été bien vengée, murmura-t-il. Le regard qu’il lui jeta révélait tant de douleurs cachées et de misères inépuisables qu’elle en eut le cœur serré. Ils causèrent ainsi quelques minutes dans un état de trouble inexprimable. Soudain une voix se fit entendre dans l’éloignement, René pâlit, et tournant ses yeux humides vers la maison : — Partez vite, dit-il, il ne faut pas qu’on