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dont il venait de faire le tableau à M. de Porny, il lui était malaisé de ne pas tomber dans les folies. Le tourbillon prit René. Il n’avait pas tardé à renouer connaissance avec vingt désœuvrés, qui n’eurent point de peine à l’entraîner dans leurs désordres. Le cercle en était monotone et ne lui présentait plus ni saveur, ni imprévu ; mais il éprouvait à se laisser aller à ce mouvement un amer plaisir. — Elle m’a fait l’injure de croire que j’étais indigne d’elle, se disait-il ; eh bien ! je le serai. Et il continuait comme un cheval échappé qui ne mesure plus la rapidité de son élan et les embarras du chemin.

Au plus fort de cette existence, un soir, ses yeux tombèrent sur une affiche au milieu de laquelle brillait en gros caractères le nom de Mme de Genouillac. Elle jouait dans une représentation à bénéfice sur le théâtre de ses débuts. René prit un billet et s’assit à l’orchestre. La salle était comble. La comédienne avait pris de l’audace dans ses promenades diverses. Elle joua avec désinvolture un rôle hardi qui demandait plus de verve et d’entrain que de finesse. Son talent s’était accru dans un genre qui le diminuait. On l’applaudit. René crut de bon goût de lui envoyer ses complimens sur une carte de visite. Elle la lui retourna avec ces trois mots écrits au crayon :

— Apportez-les-moi. Il suivit la concierge du théâtre et monta dans la loge de l’actrice.

Ce devait être une rencontre ; ce fut une chaîne. Chaque jour, elle devait être rompue, chaque jour en serrait les nœuds. L’habitude reprenait son empire. M. de Varèze recommença donc, en compagnie de Mme de Genouillac, cette existence de pérégrinations dramatiques dans laquelle il épuisait ce qui lui restait de jeunesse et gaspillait sa fortune. Au milieu d’une excursion en Allemagne, un enfant lui vint. C’était pour René un lien qui le rattachait à la vie par un côté tendre et sérieux. Il n’hésita pas à lui donner son nom. Pour sa maîtresse, ce ne fut qu’un ennui. Mme de Genouillac pensait à sa liberté qui allait être gênée. En ce moment d’ailleurs, ce que M. de Varèze possédait encore était compromis dans la liquidation d’une grande entreprise industrielle de laquelle il avait tiré de beaux revenus pendant quelque temps, et qui menaçait de ne rien rendre à ceux qui lui avaient confié leurs capitaux. C’était un avenir qu’elle ne voulait pas accepter. Elle ressuscita donc ce mari qu’elle avait perdu, disait-elle, dans l’extrême Orient, et déclara ne pouvoir reconnaître le petit Henri.

Plus tard, quelques années s’étant passées sans amener ce petit-fils de Crésus que toute actrice s’obstine à rêver. Mme de Genouillac regretta cette résolution prise à la hâte, et se rapprocha de René à qui le gain d’un procès avait rendu une partie de son aisance pre-