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contributions ; mais le gouvernement prussien leur accordait 3 pour 100 sur les sommes perçues. C’étaient eux qui devaient empêcher les jeunes gens de rejoindre l’armée, et, si les francs-tireurs se montraient dans la commune, c’était le maire et les conseillers municipaux qui étaient les premiers emmenés au chef-lieu ; leurs maisons étaient les premières exposées à l’incendie.

Les sous-préfets français furent expulsés, et les sous-préfectures supprimées : nouvelle simplification introduite par l’administration prussienne. Entre les maires et le préfet, on créa une autorité intermédiaire, celle des maires de canton. Ils furent « délégués pour faire exécuter, dans toutes les communes rurales de leur canton respectif, les décisions de l’autorité supérieure concernant l’administration publique et le recouvrement des impôts. » Ils faisaient office de receveurs particuliers, avec une commission supplémentaire de 1 pour 100. Pour faire respecter leur autorité et « faire exécuter les décisions de l’autorité supérieure, » les maires avaient le droit de requérir la force publique, c’est-à-dire la gendarmerie prussienne : les maires de canton directement, ceux des communes secondaires par l’intermédiaire des premiers. À voir nos pauvres maires de campagne à côté de ces grands guerriers graves et bien nourris, on aurait eu peine à s’imaginer que c’étaient ceux-ci qui étaient à la disposition de ceux-là. D’ailleurs l’autorité prussienne avait pourvu à ce qu’on n’eût pas ce scandale d’un vaincu donnant des ordres à un vainqueur, un paysan français à un gendarme prussien. « Il est entendu, dit un arrêté du préfet de la Meurthe, que la gendarmerie seule décidera s’il y a lieu d’obtempérer à la réquisition, et déterminera les mesures à prendre. » En effet, on vit bien plus souvent les gendarmes prussiens escorter à cheval la charrette où les maires et les conseillers municipaux, en blouse bleue ou en camisole de laine, étaient amenés dans les prisons de Nancy « qu’obtempérer à leur réquisition. »

Il n’était point permis aux maires de se dérober à cet excès d’honneur et de confiance. Maires on les trouvait, maires il leur fallait rester, attachés de force à leur fauteuil municipal, comme les curiales romains du ive siècle. M. Michaut, administrateur de la verrerie de Baccarat, un des hommes les plus estimés de la Lorraine, refusant de remplir les fonctions de maire de la ville et de maire de canton, renvoya toutes les pièces officielles que lui adressait le préfet. À la suite de « cette résistance qui ne saurait être tolérée, » le maire de Baccarat et ses conseillers municipaux furent saisis et amenés à Nancy. En chemin, l’escorte reçut des coups de fusil : témoignage de la sympathie, un peu compromettante, des amis de M. Michaut. La situation s’aggrava ; il persista dans son refus, s’at-