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tira des vexations sans nombre, fut condamné à l’amende, à la prison, dut s’enfuir, et fut traqué, suivant l’expression employée par lui dans une lettre au roi de Prusse, « non comme un ennemi, mais comme une bête fauve. »

Dès que la nouvelle administration fut installée, elle voulut avoir un organe de publicité. C’est alors que parut le « Moniteur officiel du gouvernement général de Lorraine et du préfet de la Meurthe publié par ordre du commissaire civil. » Son rédacteur en chef, dont on chercherait vainement le nom et la signature dans ces colonnes, était un certain Huguenin, Suisse d’origine. Je ne me rappelle plus par quel concours de circonstances il avait été obligé de quitter son canton natal et de louer à la monarchie prussienne sa plume et sa connaissance fort approximative de la langue française. Installé en un coin de la préfecture, il était à la fois censeur et journaliste, signalait aux sévérités du préfet les articles trop patriotiques des journaux de la localité, et rédigeait les premiers-Nancy, où il faisait l’apologie des mesures les plus atroces de l’autorité. On se procura un imprimeur, fort complaisant d’ailleurs, en faisant le simulacre d’occuper militairement son imprimerie, des compositeurs en les menaçant de les faire amener de force, des lecteurs en contraignant les mairies et les établissemens publics à prendre un abonnement régulier, au prix fixé par le préfet et payable d’avance. Le 12 septembre, le maire de Nancy recevait la lettre suivante :

« Monsieur le maire,

Je m’empresse de vous faire remarquer que l’abonnement au Moniteur officiel est obligatoire tant pour les communes des cantons de Nancy que pour les hôtels, restaurans, cafés, etc. Je vous prie de vouloir bien me faire connaître le chiffre d’exemplaires qu’il faudra livrer pour subvenir à ce besoin.

« Le préfet, comte Renard. »

M. Clavier, propriétaire à Nancy de l’hôtel de La Chartreuse, était devenu ainsi, à son corps défendant, le lecteur de M. Huguenin. Au bout d’un mois, il éprouva si peu « le besoin » de continuer, qu’il refusa de se réabonner. Il fut jeté en prison, et n’en sortit, après quarante-huit heures de réflexions, que résigné à passer au bureau d’abonnement. Ce journal avait une partie officielle consacrée aux dépêches et aux actes de l’autorité, et une partie non officielle où le rédacteur consacrait quelque article insultant soit à M. Jules Favre, soit plus tard et avec plus d’âpreté à M. Gambetta.

La première précaution que prit l’autorité allemande fut de désarmer les habitans. L’opération était facile, puisqu’il n’y avait pas en Lorraine d’armes de guerre. Une affiche signée du commandant