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du 18 septembre, il faisait encore aux magistrats français la déclaration suivante : « Il n’y a rien de changé dans les termes usuels dont vous vous êtes servis auparavant. La justice peut être rendue au nom de l’empereur, mais je ne saurais souffrir qu’on se servît de la formule : au nom du peuple français, vu que le gouvernement de la république n’a pas été reconnu par les puissances alliées qui occupent le pays. » Je ne sais si les membres de la cour ci-devant impériale et des tribunaux de Lorraine avaient un désir bien vif de substituer la formule républicaine à la formule du gouvernement de décembre ; mais ils ne pouvaient se faire à l’idée de rendre la justice française sous la « protection » des baïonnettes prussiennes et de soumettre leurs décisions au contre-seing de l’autorité allemande. Ni les menaces de suppression d’appointemens, ni les formules d’adhésion courtoisement mises à leur disposition par le commissaire civil, ni l’autorisation ultérieurement accordée de rendre la justice au nom de la loi, ne purent les décider à ne plus être en vacances. L’autorité allemande dut se résigner à laisser en souffrance la juridiction civile, excepté pour les contestations où des Allemands se trouvaient parties plaidantes. En revanche, elle s’empara de la justice correctionnelle et criminelle, et institua pour tout le gouvernement de Lorraine un tribunal dont les appels ne pouvaient être portés qu’à la cour suprême de Berlin !

Le plus connu des juges de ce tribunal était M. l’assesseur Puggé. Né à Bonn, élevé aux jésuites de Saint-Clément de Metz, il parlait français assez correctement, mais non sans accent, et, en sa qualité de juge instructeur, l’entendait mieux encore qu’il ne le parlait. D’une quarantaine d’années, légèrement replet, les cheveux d’un blond fade, le visage blême, il avait des yeux qui rarement regardaient en face, mais qui alors pénétraient comme de l’acier. Ce singulier juge, sanglé dans son uniforme bleu, armé d’un sabre de cavalerie, avait le langage flegmatique, mais tranchant et impérieux. Il ne laissait pas le prévenu s’égarer dans de longues explications ; lui coupant brusquement, même brutalement la parole, il le ramenait à la question. Un jour des notables de Remiremont détenus en garantie d’une amende imposée à leur commune ont obtenu, bien malgré lui, la permission d’aller passer huit jours chez eux. Il leur fait prêter le serment de Régulus. Ils lui exposent alors qu’ils voudraient être relevés en prison par d’autres, qu’on a besoin d’eux là-bas, qu’ils sont les uns pères de famille, les autres chefs d’atelier, etc. — À la bonne heure ! répond M. Puggé, comprenez donc que, si l’on vous retient ici, c’est parce que cela vous gêne. — Devant un tribunal où il faisait office de ministère public, il n’y avait pas beau jeu pour les avocats. Il les raillait avec la bru-