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la vulgaire eau de Cologne. Il redouta les pâtes et les pommades d’une exquise fraîcheur, qui lui firent l’effet d’être éventées, parce qu’il était habitué aux produits rancis de son bagage ambulant. Enfin, s’étant accommodé du mieux qu’il put pour faire disparaître la poussière de sa chevelure et de son brillant uniforme, il retournait au salon, lorsque, se voyant toujours suivi du domestique français, il se rappela qu’il avait un service à lui demander. Il commença par lui demander son nom, à quoi le serviteur répondit simplement : Martin. — Eh bien ! Martin, faites-moi le plaisir d’envoyer une personne faubourg Saint-Martin, numéro,… je ne sais plus ; c’est un petit café où l’on fume ;… il y a des queues de billard peintes sur la devanture, c’est le plus proche du boulevard en arrivant par le faubourg.

— On trouvera ça, répondit gravement Martin.

— Oui, il faut trouver ça, reprit le prince, et il faut s’informer d’une personne dont je ne sais pas le nom : une jeune fille de seize ou dix-sept ans, habillée de blanc et de bleu, assez jolie.

Martin ne put réprimer un sourire que Mourzakine comprit très vite. — Ce n’est pas une… fantaisie, continua-t-il. Mon cheval en passant a fait tomber cette personne ; on l’a emportée dans le café : je veux savoir si elle est blessée, et lui faire tenir mes excuses, ou un secours, si elle en a besoin.

C’était parler en prince. Martin, redevenu sérieux, s’inclina profondément, et se disposa à obéir sans retard.

M. de Thièvre, après avoir été un des satisfaits de l’empire par la restitution de ses biens après l’émigration de sa famille, était un des mécontens de la fin. Avide d’honneurs et d’influence, il avait sollicité une place importante qu’il n’avait pas obtenue, parce qu’en se précipitant les événemens désastreux n’avaient pas permis de contenter tout le monde. Initié aux efforts des royalistes pour amener par surprise une restauration royale, il s’était jeté avec ardeur dans l’entreprise, et il était de ceux qui avaient fait aux alliés l’accueil que l’on sait. Il devait à sa femme l’heureuse idée d’offrir sa maison au premier Russe tant soit peu important dont il pourrait s’emparer. La marquise, à pied, aux Champs-Elysées, avait été admirer la revue. Elle avait été frappée de la belle taille et de la belle figure de Mourzakine. Elle avait réussi à savoir son nom, et ce nom ne lui était pas inconnu ; elle avait réellement une parente mariée en Russie qui lui avait écrit quelquefois, qui s’appelait Mourzakine, et qui était ou pouvait être parente du jeune prince. Du moment qu’il était prince, il n’y avait aucun inconvénient à réclamer la parenté, et du moment qu’il était un des plus beaux hommes de l’armée, il n’y avait rien de désagréable à l’avoir pour hôte.