Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

timent qui eussent été dépossédés de leur besogne pour un terme plus ou moins long, alors même que la guerre n’aurait pas éclaté. À ce compte-là, nous aurions encore 80 ouvriers sur 100 qui sont restés sous le coup des effets de nos déchiremens intérieurs. Or pour eux, l’inaction est à peu près complète. Si quelques mains s’emploient à certains travaux d’entretien ou de réparation entièrement indispensables, c’est tout, et la proportion est à peine de 5 pour 100. En temps ordinaire, le régiment de ces travailleurs se compose de 78,000 individus. Tous sont des ouvriers adultes ; point de femmes et à peine un millier d’enfans. Chaque bataillon à ses chefs, ses règlement, ses salaires : bataillon des maçons, qui est le plus nombreux, bataillon des menuisiers, des serruriers, des charpentiers, des peintres, des couvreurs, des paveurs, des ornemanistes, des carriers, etc. Leur action collective alimentait un mouvement d’affaires de 346 millions par année. Jugez des pertes. Le bâtiment figurant pour un peu plus de 9 pour 100 dans le total des transactions industrielles à Paris, il venait après le vêtement, que précédait déjà l’alimentation, à laquelle j’arrive maintenant, et où la somme des affaires est hors de toute comparaison avec celle d’une autre spécialité quelconque.

Chacun nomme de soi-même les principales industries englobées sous ce mot : alimentation. Inutile de les énumérer ; j’indique seulement pour les plus importantes le rang qu’elles occupent d’après le chiffre des transactions. En premier lieu arrivent les marchands de vin, suivis d’abord par les bouchers, puis par les épiciers, les restaurateurs, les raffineurs, les boulangers, les limonadiers, les crémiers-fromagers, les fruitiers, les charcutiers, etc. On voie que ce sont les marchands de vin qui prennent la plus grosse part dans le lot commun ; ils retiennent à eux seuls 200 millions par an, tandis que les boulangers par exemple, placés au sixième rang, n’en ont guère que la moitié. Les limonadiers, qui passent immédiatement après les boulangers, sont eux-mêmes dotés, — quoique leur industrie, pour une bonne part, ne représente que le superflu de la vie, — d’environ 68 millions par an. Ces proportions-là n’étonneront personne ; on ne sait que trop à quoi s’en tenir là-dessus. On a pu en juger, notamment au début de la fatale guerre de 1870. Parmi ceux qui alors ont vu la capitale, est-il un seul homme de réflexion et de sang-froid qui n’ait souffert du spectacle étalé sous ses yeux ? À cette époque, où l’on criait si haut : à Berlin ! à Berlin ! il est regrettable qu’on n’ait pas su que la route qui peut conduire à cette capitale ne porte point la marque de séjours aussi longs et aussi répétés chez les marchands de liquides alcooliques et de boissons enivrantes. Si l’on avait consacré une partie du temps qu’on y