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L’ALSACE ET LA PRUSSE.

gouvernement général de l’Alsace et de la Lorraine allemande a une superficie de 274 milles carrés allemands (1/31 de la France entière), dont 157 appartiennent à l’Alsace, et une population de 1 638 500 habitans (1/23 de la population totale de la France).

La création du gouvernement d’Alsace dès le mois d’août dernier parut à l’opinion publique en France un acte de dédain et un défi. Les Allemands sont plus pratiques que dédaigneux : ils comptaient garder l’Alsace, l’œuvre d’organisation ne pouvait commencer trop tôt ; puis, n’eussent-ils pas eu cette pensée de conquête, il était dans leur plan, une fois un pays occupé, d’y installer une administration civile. C’est ainsi qu’ils ont créé successivement les gouvernemens de Nancy, de Reims et de Versailles. Pour assurer les communications, le service des postes et celui des télégraphes, pour forcer ces pays à la soumission et aussi les contraindre à nourrir l’armée, souvent à payer la solde des troupes, pour maintenir chaque canton dans l’isolement du canton voisin, il est nécessaire de constituer une administration distincte de l’armée, et néanmoins toute au service de cette armée. La force de la Prusse n’est pas seulement d’avoir mis en ligne des troupes nombreuses, instruites, disciplinées, pourvues d’un matériel excellent ; elle est aussi d’avoir fait servir à la guerre des élémens dont la stratégie moderne a tenu jusqu’ici trop peu de compte. La commission mixte pour le transport des troupes a réuni 500 000 hommes en douze jours. Nous l’avions vue à l’œuvre en 1866 : en 1870, elle a surpassé les attentes de l’Allemagne elle-même. L’organisation des gouvernemens civils derrière une armée d’invasion doit être aujourd’hui admise en principe pour toute guerre de quelque durée. Il sera possible, je crois, de montrer qu’une pareille organisation peut tenir un compte scrupuleux du droit des gens ; pour rendre les services qu’on doit en attendre, il n’est pas nécessaire, comme beaucoup d’esprits seraient tentés de l’admettre, qu’elle méprise toute idée de justice. On remarquera toutefois qu’une pareille administration, si elle veut s’établir promptement et faire face à toutes les difficultés qu’elle rencontre, trouve de grandes ressources dans l’organisation militaire de la confédération du nord. Dans son armée, l’Allemagne a non-seulement sous la main des soldats, mais des ingénieurs, des mécaniciens, des ouvriers, des employés des finances, des postes, des télégraphes, voire même des hommes de loi pour résoudre les difficultés de procédure et des savans pour explorer les archives. Il est facile à l’avance de former la Feld-administration (l’administration de campagne) ; il est aussi facile de pourvoir à l’imprévu. Tout soldat peut à chaque instant se transformer en fonctionnaire civil. Vous avez reçu le matin un officier éperonné et casqué qui s’est installé chez vous en