Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/415

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
409
L’ALSACE ET LA PRUSSE.

il invitait les instituteurs primaires à reprendre leurs cours. L’instruction était trop précieuse, trop nécessaire pour qu’on l’interrompît un seul instant. Il comptait sur le zèle et le dévoûment de ces fonctionnaires, il leur rappelait combien leur mission est digne d’intérêt. L’article 5 portait : « Il sera pourvu énergiquement à ce que l’enseignement primaire soit continué régulièrement. » Si l’autorité allemande ne voulait qu’assurer la continuation de cet enseignement, la menace était inutile : les cours avaient à peine été interrompus ; mais là n’était pas le sens du décret. C’est par l’instruction primaire, disait la Gazette de Carlsruhe, que l’Alsace se rapprochera de l’Allemagne. La question des écoles en Alsace, depuis le début des hostilités, ne cesse d’occuper l’Allemagne. Les publicistes proposent à l’envi les théories les plus propres à amener le résultat désiré ; on attache un grand prix à des livres élémentaires qui doivent montrer la gloire de l’Alsace allemande, les rigueurs de la domination française. On pense qu’il est utile de former des recueils de vieux chants populaires alsaciens, aujourd’hui presque oubliés, mais qui réveilleront l’esprit provincial. Un décret nouveau devait suivre celui du 21 septembre ; en créant deux séminaires d’institutrices primaires, il mettait en pratique ce principe proclamé par le gouvernement général, que l’allemand serait désormais la seule langue nationale du pays ; les élémens du français ne figurent sur les programmes qu’à titre facultatif, à côté de la musique et de l’anglais. Il est vrai d’ajouter que, les instituteurs alsaciens ne sachant pas le bon allemand, comme le constate avec douleur le journal officiel, le gouvernement est obligé de faire appel au concours des Bavarois, des Badois et de leurs voisins ; ainsi toute la jeunesse de la province est confiée à des maîtres étrangers. En 1826, au gymnase protestant de Strasbourg, les cours se faisaient encore en allemand. En deux cents ans, l’administration n’a tenté aucun effort sérieux pour répandre la langue française ; elle ne l’a imposée ni au clergé, ni aux contribuables : les avertissemens des percepteurs jusqu’en 1870 ont toujours été rédigés en deux langues, les affiches officielles de même. Un mois après son établissement, le gouverneur-général supprimait complètement le français de tous les actes administratifs dans un pays où de son aveu le bon allemand est très mal compris, où aucun fonctionnaire ne peut se flatter de le parler ou de l’écrire correctement, où les officiers publics, notaires, avoués, huissiers, qui parlent pour leur usage l’idiome du pays, ne savent pas l’écrire. L’Allemagne trouvait que la France avait eu tort de ne pas imposer le français ; elle ne voulait pas tomber dans une pareille faute, et tranchait dans le vif.

Quant à l’église, le gouverneur pensa que le mieux était de lui rappeler les décrets organiques du 8 avril 1802 et du 26 mars