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1852. Elle restait soumise aux lois françaises ; mais elle devait reconnaître le nouveau césar et lui rendre ce qui lui était dû. Le commissaire civil la conviait à venir avec confiance vers la nouvelle administration. ; il lui rappelait toutefois à quel prix l’autorité allemande mettait sa protection : l’église devait prêcher le respect de cette autorité, l’obéissance et le dévoûment, calmer les haines que la guerre excitait forcément, travailler à la pacification des esprits. Si elle manquait à ces devoirs, toutes les indemnités pécuniaires allouées au clergé seraient supprimées[1].

Les habitans de l’Alsace voyaient le gouvernement, comme il l’avait annoncé, animé d’une activité intelligente ; mais il ne leur paraissait pas qu’il fût guidé par une autre pensée que l’intérêt personnel. Un article du journal officiel avait déclaré qu’on rembourserait les réquisitions faites dans les villages ; ces réquisitions continuaient : nombre de communes supportent encore en ce moment les charges militaires, d’autres n’ont pu en affranchir les particuliers qu’en les payant sur la caisse municipale. L’autorité civile avait exprimé l’intention de faire cesser les réquisitions de chevaux et de voitures ; elle dut déclarer que les chefs d’armée n’avaient pu accéder à cette demande. Les chemins de fer et le service des postes se rétablissaient en effet, mais au bénéfice à peu près exclusif des troupes allemandes ; les avis sur les heures de départ, publiés avec tant de soin dans les journaux, étaient à l’adresse de l’Europe. Le seul acte d’utilité générale que fit le gouverneur durant cette période fut un arrêté sur la peste bovine.

Du reste, si l’autorité allemande avait cru qu’il serait facile de séduire l’Alsace par de simples démonstrations d’amitié, elle s’était trompée : l’Alsace était très française. Le mauvais vouloir des habitans, qui ne cédaient qu’à la force, était partout évident. Dès le milieu d’août, le gouverneur avait recours aux garnisaires et aux amendes. C’est ainsi que le seul village de Markolsheim, occupé par les troupes, devait payer 60 000 francs. Cependant il se passait dans la vallée du Rhin un drame qui laissera en Alsace de longs souvenirs : l’Allemagne bombardait Strasbourg ; l’autorité allemande ne rappelle aujourd’hui ce bombardement qu’avec les témoignages de la plus vive douleur. « C’est faire acte de mauvais citoyen, dit-elle, que de vouloir en conserver le souvenir ; nous regrettons plus que vous de si cruels malheurs, » et elle soumet à la censure tous les récits qu’elle consent à laisser publier. Les écrivains militaires ne parlent pas de cet acte cruel comme d’une faute ; le dernier de ceux qui ont raconté ce siège, M. Meier, premier lieutenant au régiment d’artillerie de Magdebourg[2], dit qu’en principe toute ar-

  1. Ordonnance du 12 septembre.
  2. Die Belagerung Strasburgs, Berlin 1871.