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L’ALSACE ET LA PRUSSE.

mée assiégeante doit chercher à frapper l’assiégé de terreur ; à Strasbourg, ce système n’a eu aucun succès, mais pouvait-on prévoir à coup sûr la fermeté des habitans ?

La ville était sans défense : un seul régiment entier s’y trouvait et par hasard ; quelques marins, quelques pontonniers, des mobiles qu’on venait de réunir pour la première fois, et 3 000 soldats de différentes armes rentrés à Strasbourg après la bataille de Wœrth, complétaient la garnison. Le général Uhrich n’avait aucun moyen d’empêcher sérieusement les travaux d’approche. L’ennemi pouvait construire les parallèles avec une liberté absolue, et, comme le dit M. Meier, qui devrait parler de la faible garnison de Strasbourg et ne pas rapporter tout le succès aux rares qualités des officiers allemands, le siège pouvait être conduit avec une exactitude mathématique ; au jour marqué, la brèche était ouverte et l’entrée dans la ville assurée. La construction des parallèles n’a guère pris plus de deux semaines. C’est dans ces conditions que l’armée allemande, avant tout travail de siège régulier, se mit à bombarder la ville. Pendant trente-quatre jours et trente-quatre nuits, le bombardement ne cessa point. Les rues de Strasbourg, très étroites, les vieilles maisons, souvent en bois, fournissaient un aliment naturel à l’incendie. L’ennemi, qui cherchait surtout à mettre le feu, dès qu’il voyait une maison s’allumer, faisait pleuvoir sur ce foyer de flammes une grêle de projectiles qui rendait tout essai de secours impossible. Ainsi brûlèrent des quartiers entiers, qui ne sont plus que des monceaux de ruines ; ainsi furent incendiés la bibliothèque, le Temple-Neuf, la toiture de la cathédrale, la préfecture, le théâtre. On cite à peine quelques maisons qui n’aient pas reçu de projectiles. Le voyageur du reste n’a qu’à monter sur le dôme et à compter le nombre des toits qui ne portent pas des tuiles neuves, signe de réparations récentes : il n’en trouvera que bien peu. On calcule que ce bombardement n’a pas coûté à l’assiégeant moins de 2 millions de thalers. Les pertes des particuliers sont évaluées par une commission municipale à 60 millions de francs. Dans ce chiffre, on ne compte pas les édifices publics détruits. Le nombre des morts constatés dans la population civile a été de 300, celui des blessés de 1 600 à 1 700. Le bombardement partiel de Paris n’a aucun rapport avec celui qu’a dirigé M. de Werder. Si Paris avait souffert dans la même proportion que Strasbourg, on y eût compté, outre les combattans atteints sur le champ de bataille ou sur les remparts, 66 000 blessés et 10 000 morts. L’opinion des Strasbourgeois est que les assiégeans n’ont jamais tiré au hasard, ce qui serait assez naturel puisqu’ils avaient à chaque pièce un plan très exact de la ville. L’incendie de la bibliothèque, dit-on, a été voulu. Nous ne saurions admettre l’accusation en ces termes ; mais, si M. de Wer-