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est catholique. Le commissaire civil, M. de Kühlwetter, a mûri dans la haute administration : il est le véritable directeur de la province ; tous les services sont sous ses ordres. Rude d’aspect, rude de parole, il applique à la lettre le programme de la Prusse, ne connaît que la Prusse, et le devoir du fonctionnaire. C’est lui qui se fait de l’honneur l’idée étrange que nous avons rappelée. Le commissaire militaire, M. d’Olech, a le privilège des décisions rigides qui ne peuvent être justifiées que par l’intérêt des armées allemandes ; c’est un soldat qui applique les lois martiales établies, ou en rédige de nouvelles, quand M. de Bohlen le juge nécessaire. Au-dessous de ces hauts dignitaires se trouvent les conseillers, les secrétaires, les directeurs des finances, les juges, etc. Ce sont presque tous des économistes, des savans, des écrivains ; plusieurs font partie du parlement de l’Allemagne du nord, comme M. de Sybel de Düsseldorf et M. Janssen. Ils mettent au service de la politique prussienne des connaissances spéciales qui seraient remarquées en tout pays ; leurs décisions ne peuvent être qu’éclairées : il n’est pas à craindre qu’elles soient en désaccord avec la ligne de conduite arrêtée par M. de Bohlen. Tel est ce gouvernement aristocratique, religieux et savant : les connaissances techniques, la pratique des affaires, y sont représentées par des hommes de mérite ; la fermeté et l’unité d’action s’y trouvent assurées ; la grâce et la bonté y figurent même comme personnages sinon muets, du moins impuissans ; enfin il n’est pas jusqu’à la brutalité qui ne joue un rôle voulu et nécessaire dans une administration où la terreur peut être au besoin un élément de force. M. Osius restera légendaire en Alsace ; il remplit près du conseil de guerre, où il siège contrairement à toutes les habitudes reçues jusqu’ici par la procédure, les fonctions de juge d’instruction : il est le grand justicier de la province. S’il est plus équitable que ne le veut l’opinion, du moins ne met-il pas de son côté la convenance irréprochable des formes.

« Ah ! monsieur, disait-il dernièrement à une de ses victimes, vous êtes Français ! vous êtes Français ; eh bien ! sachez-le, nous voulons voir la France à genoux dans la poussière, à genoux dans la boue. » Un pareil langage, la Prusse l’avouera sans peine, ne vaut pas mieux que les invectives violentes de nos publicistes les plus médiocres. Un matin, il reçoit un aumônier de la Société internationale qu’on renvoyait de prison sans l’avoir jugé, et qui venait lui redemander son argent et ses papiers. « Vous ne croyez pas au miracle, M. l’abbé ; il vous faut de l’argent pour voyager, il vous faut des papiers : lisez la Bible, monsieur, et videz la place. » M. Osius excelle dans la plaisanterie allemande ; il laisse le sel attique aux esprits légers. C’est à lui qu’on attribue, à tort ou à raison, les entrefilets de la Gazette officielle destinés à rappeler de