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L’ALSACE ET LA PRUSSE.

française de l’Internationale : tel médecin en deux jours a réuni plus de 30 000 francs dans un seul chef-lieu de canton. En même temps, nos prisonniers internés en Allemagne recevaient des dons en nature et en argent. L’Alsace rivalisait avec la Suisse, qui, au milieu de nos épreuves, a porté la charité jusqu’à l’héroïsme. En ce moment même, nos soldats revenant d’Allemagne trouvent à Strasbourg une société qui s’occupe de les nourrir et de les loger. Il était difficile aux volontaires d’aller rejoindre les armées françaises ; ils vainquirent les obstacles. On ne compta pas moins de 17 000 Alsaciens dans l’armée de l’est et dans celle de la Loire, tous partis de leur propre mouvement, malgré les lois prussiennes et les dangers auxquels ils laissaient leur famille exposée. Il est tel village dont tous les jeunes gens sont allés au-delà des Vosges dès le mois de septembre et d’octobre. La France combattait pour l’Alsace ; l’Alsace n’épargnait pas son sang, elle voulait être la première à la lutte : elle a une belle place dans l’œuvre de la défense nationale. Ce chiffre de 17 000 paraîtra peut-être inférieur à ce qu’imaginent les esprits plus habitués aux utopies qu’aux réflexions sérieuses ; mais qu’on lise les tableaux des engagés volontaires dans les armées de 1792, celui de ces mêmes engagés dans la guerre actuelle ; cette comparaison sera toute à l’honneur de l’Alsace[1].

Le 5 février, les maires de Strasbourg et de Colmar reçurent l’avis du gouvernement de Bordeaux que les élections pour l’assemblée nationale auraient lieu le 8. L’administration prussienne déclara qu’elle fermerait les yeux, qu’elle laisserait faire. Personne en Alsace n’avait songé aux élections, personne n’avait pensé que la lutte dût finir aussitôt et dans des circonstances aussi malheureuses. Dans tous les pays envahis, où les nouvelles n’arrivaient que par les journaux allemands, on ne croyait pas aux victoires de l’Allemagne ; les bulletins des vainqueurs, à peine lus par les populations, n’étaient, disait-on, qu’une tromperie systématique destinée à détruire les courages, à rendre la soumission plus facile par le désespoir. L’Alsace, prise au dépourvu, sans comité, sans journaux, trouva dans l’autorité prussienne des obstacles de toute nature. Il fut défendu d’afficher aucune liste de candidats, aucune profession de foi : le Courrier du Bas-Rhin reçut ordre de ne prononcer le nom d’aucun candidat. La seule affiche qui fut publiée annonça le 7, sous la signature du gouverneur-général, qu’en présence du décret de M. Gambetta sur les incompatibilités, les élections ne pourraient avoir lieu, déclaration sur laquelle on revint ensuite, mais qui du moins contribua encore à troubler les esprits dans un moment où il ne fallait perdre ni une heure, ni une minute, si on voulait faire

  1. Voyez dans la Revue du 15 janvier, les Mobilisés aux avant-postes.