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me disait-il souvent, vous ne savez rien de l’Allemagne. Vous ne voyagez pas, et vous ignorez complètement notre langue. On vous a dit que nous serions avec vous, qu’à votre entrée dans le Palatinat, la Bavière et le Wurtemberg se tourneraient contre la Prusse, et vous l’avez cru naïvement sur la foi de vos diplomates, qui vous ont trompés, et sur les déclarations de votre gouvernement, qui avait intérêt à vous faire croire que nous n’attendions que votre arrivée pour nous soulever. Si vous aviez pris la peine de lire nos journaux ou d’envoyer ici des correspondans, si votre police politique avait été mieux faite, vous auriez été vite détrompés ; mais vous n’entendez rien à la police. Vos diplomates sont des employés ; vos agens, M. de Bismarck les paie et revoit leurs rapports ; vos correspondans de journaux, à part un ou deux, sont des niais. Nous ne sommes pas Prussiens, nous sommes Allemands, et nous voulons rester Allemands. Nous tenons à notre Rhin, et nous voulons le garder. Seuls, nous n’aurions pas été assez forts. Aussi plus vous nous avez menacés, plus nous nous sommes rapprochés de la Prusse. Ce n’est pas que nous vous haïssions ; mais nous voulons boire dans notre verre, et, sans être des puritains, nous n’aimerions pas trop à voir revenir parmi nos femmes et nos filles vos brillans officiers tout chamarrés d’or et de galons. Vainqueurs, nous vous aurions très mal reçus ; vaincus, nous ne demandons qu’à vous prouver que nous étions faits pour vivre en bonne intelligence. Vous nous avez interrompus dans nos travaux pacifiques ; nous allions célébrer cette année la fête de notre grand Beethoven, et nous étions tout occupés de ce soin, quand vous êtes venus nous chercher une querelle d’Allemand, comme vous dites ; non, pas vous, mais votre gouvernement : nous ne confondons pas la France et l’empereur. Pourquoi vous en voudrions-nous ? Vous n’avez été que légers, et vous ne l’avez que trop payé. » Ainsi parlait ce brave homme, et beaucoup pensaient comme lui ; j’ai pu m’en assurer.

Bonn, où nous dûmes nous rendre sur l’ordre des autorités allemandes, après un court séjour à Mayence, n’a déjà plus la même physionomie : c’est encore le pays rhénan, c’est la même race sanguine et blonde ; mais on n’y trouve déjà plus ces qualités de sympathie et de franchise qui m’avaient frappé chez les Mayençais. C’est déjà la Prusse avec ses fortes vertus domestiques et sa rudesse, avec son génie tout d’ordre, de discipline, d’économie, et en même temps son âpreté, avec ses instincts religieux, mais aussi avec son rigorisme étroit et intolérant. Pour être tout à fait Prussiens, il ne manque à ces gens-là que d’être protestans.

Ce qui frappe tout d’abord, ce qui tire l’œil en entrant dans un de ces intérieurs bourgeois, c’est l’ordre, c’est une certaine harmonie dans l’aménagement et la disposition des objets, c’est une