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mée, l’impôt, tient visiblement dans sa main toutes les forces de l’état. De quoi se plaignaient nos pères en 1789 ? De ce que le prince seul faisait la loi ; sa volonté était sans contrôle. Si veut le roi, si veut la loi, disait un adage de notre ancien droit. La seule barrière qui protégeât la liberté du sujet, c’était le parlement. Grâce à ses remontrances, qui à l’occasion adoucissaient ou désarmaient l’arbitraire royal, le parlement, suivant la remarque de Blackstone, avait empêché la France de tomber aussi bas que la Turquie. Limiter cette autorité absolue était sage ; la transférer à une assemblée unique, c’était déplacer le despotisme, ce n’était point l’abolir.

Ce qui égara le législateur de 1789, c’est qu’il avait devant lui une vieille royauté qui lui faisait peur. Elle avait de si profondes racines, on la croyait si forte et si menaçante, qu’on s’imaginait ne pouvoir assez l’affaiblir. La dépouiller du pouvoir législatif au profit d’une assemblée, c’était, pensait-on, le seul moyen d’armer la nation contre des abus intolérables, et d’assurer à jamais le règne de la liberté. On ne voyait pas qu’on remplaçait une royauté paternelle, plus arbitraire que violente, par un corps législatif où les factions déchaînées s’arracheraient la souveraineté. L’omnipotence de l’assemblée devait faire le bonheur de la France et du monde ; c’est de cette boîte de Pandore que sont sortis tous les maux et tous les crimes de la révolution.

Que les Américains ont été plus prévoyans et plus sages ! Nés dans un pays libre qui depuis son origine se gouvernait lui-même, et ne connaissait que de nom la royauté lointaine de la métropole, les habitans des colonies anglaises avaient appris de bonne heure à se défier du seul pouvoir qui dans une république peut entreprendre sur les libertés et les droits des citoyens ; ce pouvoir est celui des assemblées. Toutes les constitutions américaines, on ne l’a pas remarqué, sont des barrières opposées à l’usurpation du pouvoir législatif ; toutes les constitutions françaises sont des batteries dirigées contre le pouvoir exécutif. Nous avons grandi outre mesure l’autorité de nos mandataires, et nous nous sommes asservis de nos propres mains.

Prenez la constitution fédérale ou quelqu’une des trente-sept constitutions des états particuliers : toutes sont faites sur le même modèle ; toutes ressemblent en apparence à nos chartes républicaines. On y retrouve une déclaration de droits, l’établissement et l’organisation des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et enfin le droit de révision ; mais chacune de ces prescriptions a un sens différent dans les deux pays. Si nous avons copié la lettre des constitutions américaines, nous n’en avons jamais saisi l’esprit. Qu’est-ce que nos déclarations des droits de l’homme ? Un vain