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duc de Lancastre pour s’avancer sur Poitiers et dégager le prince de Galles, et que le roi de France, après avoir eu la douleur de voir ses provinces impunément saccagées, aurait la honte d’avoir été pris au piège et dupé par un astucieux adversaire. En effet, on avait des nouvelles des mouvemens du duc de Lancastre. La parole de l’ardent prélat changea donc la disposition des esprits. Il fut résolu qu’on livrerait bataille, et chacun s’y prépara[1].

On voit quelle couleur nouvelle le récit vraisemblable de Villani donne à l’histoire de la bataille de Poitiers. Le chroniqueur italien, au lieu de l’extravagante conduite prêtée au roi Jean, nous dépeint une situation singulière où des deux côtés il fallait obtenir une solution immédiate : — pour le roi de France, de peur de voir arriver le duc de Lancastre sur ses derrières, — pour le prince de Galles, de peur de mourir de faim, car il était bloqué. Reste la disposition de la bataille, qui est l’occasion de nouveaux griefs contre le roi Jean. Il faut lire dans le commentaire de M. de Lettenhove la description du champ de bataille de Maupertuis. Elle rectifie les jugemens connus sur les opérations de la néfaste journée du 19 septembre 1356. La position du camp anglais avait été choisie et fortifiée avec beaucoup d’intelligence et d’habileté. L’attaque en fut encore discutée et arrêtée en conseil de guerre. La responsabilité du plan d’attaque ne retombe donc sur le roi Jean que pour l’approbation qu’il donna aux avis les plus autorisés. Ici la narration de Villani s’accorde avec celle de Froissart ; mais dès l’engagement de l’action le récit de Villani donne à la conduite de l’affaire une face différente. La division de l’armée française en quatre corps de bataille peut paraître commandée par la situation et les défenses du camp anglais. Je passe aussi sur ce point. Advenant le lundi matin 19 septembre, le maréchal d’Audrehan conduisit la première colonne d’attaque composée de cavaliers espagnols et gascons, à la solde du roi Jean, flanqués de quelques bandes italiennes. Après lui devait marcher le connétable, qui était le duc d’Athènes, suivi d’un corps de bacheliers[2]français, provençaux et normands. Après le connétable suivait le corps de bataille du jeune dauphin, conduit par le duc d’Orléans, frère du roi : il était destiné à soutenir le duc d’Athènes, et fort d’environ 5,000 cavaliers français. Le quatrième et

  1. Le parole dello ardito prelato feciono cambiare la volonta del re, e di tutti i baroni del consiglio, e catuno s’inanimo alla battaglia. E al cardinale fu riposto precisamente che piu non si travagliasse della concordia. E deliberato fu di stregnere il duca alla battaglia la mattina vegnente, e questo consiglio fu preso domenica a di diciotto di settembre anno detto, operando fortuna per lo franco consiglio di quel prelato la materia dell’ occulto giudicio di Dio contro al detto re di Francia. Villani, loc. cit., cap. XII.
  2. Sur cet ordre de combattans, voyez une savante note de Secousse, au 2e vol. des Ordonnances, p. 466.