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dernier corps de bataille était celui du roi ; on y comptait plus de 6,000 cavaliers et les plus hauts barons du royaume : c’était une réserve qui devait se porter au secours des points faibles et donner les derniers coups. Tous devaient agir de concert après avoir atteint le point d’attaque. Le prince de Galles avait de son côté dès la pointe du jour, fait mettre le feu à ses bagages et au butin qu’il traînait après lui. Il ôtait ainsi un regret à ses soldats et une espérance à ses adversaires. En même temps, il divisa ses archers en deux troupes de 3,000 chacune, intorno di tre mila, qu’il disposa dans les bois et dans les vignes à droite et à gauche de la chaussée que les Français devaient suivre pour venir l’aborder, de telle sorte que les cavaliers du maréchal devaient être couverts d’une grêle de flèches en s’avançant pour attaquer les Anglais. En avant de son camp, le prince avait disposé un corps de bataille destiné à recevoir de front et à repousser l’assaut des Français. Le prince avait enfin formé, avec ce qui lui restait de cavalerie, un corps de réserve en arrière, prêt à porter son aide sur les endroits les plus menacés.

Cet ordre de bataille étant ainsi réglé de part et d’autre, le maréchal d’Audrehan, avec sa troupe, s’avança plein de confiance pour exécuter la manœuvre convenue, que Froissart et Villani s’accordent à décrire, à savoir : forcer l’accès de la chaussée qui conduisait aux retranchemens de Maupertuis, et, voyant le grand incendie dont nous avons parlé du côté des Anglais, il crut qu’ils mettaient le feu à leur camp pour prendre la fuite par une autre issue. Plein de cette folle idée, sans attendre le second corps qui le suivait à distance, le maréchal et sa troupe, ayant poussé un grand cri, s’élancèrent avec emportement[1], et assaillirent avec tant d’ardeur la position des Anglais, qu’ils craignaient de voir s’échapper, que le connétable, distancé du maréchal par le soudain élan de ce dernier, ne se douta pas du commencement de l’action. Le canon et le mousquet n’avisaient point alors les armées du choc des combattans, et, s’il y avait eu quelques bombardes à Crécy, on n’en entendit point à Poitiers. L’avant-garde anglaise, qui barrait la chaussée, ne résista point à cette furie, et, se repliant, livra le passage au maréchal, qui se trouva pris à droite et à gauche par les archers répandus dans les vignes et arrêté de face par le corps de bataille posté sur la crête de la colline. La cavalerie du maréchal, ainsi percée de mille traits, fut renversée en désordre sur elle-même, accablée de trois côtés à la fois, et regagna la plaine en déroute complète. Par la faute du maréchal, qui ne put rallier ses gens, la bataille se trouvait engagée contre les corps français pris en détail.

  1. Je traduis ici le texte même de Villani, loc. cit., cap. XVI et cap. XVII.