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bourgeoisie, si honnête, si laborieuse, si intelligente, que des insensés calomnient, et qui est encore la plus grande force de l’état. »

Voilà l’objection dans toute sa force. La France, nous dit-on, interrogée dans son histoire, étudiée dans ses vrais besoins, son propre caractère, ses défauts, le génie de sa race, répond qu’elle est essentiellement et par tempérament monarchique. — Ce genre d’argumens me laisse, je l’avoue, en défiance. Je dirais aussi justement en étudiant l’histoire des quatre-vingts dernières années : « la France a le tempérament révolutionnaire. » Les deux propositions contiennent, bien qu’étant contraires, une part égale de vérité. On disait du gouvernement de la France au dernier siècle que c’était une monarchie absolue tempérée par des chansons. Notre histoire du xixe siècle semble être celle d’une monarchie intermittente tempérée par des révolutions. Au vrai, toutes ces formules sont plutôt des propositions oratoires que des raisons philosophiques. Ce genre d’explications n’explique pas grand’chose. Qu’il y ait un tempérament dans les nations comme dans les individus, je ne le nie pas ; mais que ce tempérament les condamne de toute éternité à telle ou telle forme de gouvernement, voilà ce qui m’étonne, surtout s’il s’agit d’institutions analogues malgré la différence des noms, telles que seraient la monarchie constitutionnelle et la république parlementaire. J’admets encore moins que ce tempérament ne puisse être profondément modifié par un certain ensemble d’idées, d’actes, de sentimens, par un progrès général de la civilisation et des mœurs, dont peuvent résulter des instincts politiques entièrement nouveaux dans une nation. De même que dans l’individu le tempérament donné par la nature est comme la matière sur laquelle travaille la liberté, et qu’elle doit façonner à l’image de la volonté, de même dans les races supérieures qui se sont élevées jusqu’à la conception d’un certain idéal politique l’élément de la fatalité, que chaque race apporte avec elle est indéfiniment modifiable sous l’empreinte de l’élément moral, qui s’en empare et le transforme. Or cet élément moral dans une nation, c’est la réflexion, la sagesse, l’expérience ; d’un mot, ce sont les mœurs politiques, qui sont non pas uniquement le fruit de ses instincts, mais aussi le résultat de la volonté nationale s’exerçant à se perfectionner elle-même, et méritant par ses efforts un progrès dans sa destinée.

D’ailleurs, quand on parle des aptitudes et des instincts politiques de la France, on a tort de parler d’elle comme d’une individualité unique ayant une essence propre et nettement définie. Dans le fait, il y a bien des populations diverses en France, et qui diffèrent jusqu’à l’opposition la plus marquée par les intérêts, par les goûts, par l’éducation, par les degrés de civilisation auxquels chacune