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faits, traduisant ici une logique supérieure, avait condamné sans appel l’empire en montrant à ceux-là mêmes qui avaient mieux espéré des hommes, sinon des institutions, qu’il portait en soi la fatalité de sa chute dans l’imprévoyance incorrigible du pouvoir personnel, sourd à tous les avertissemens ; mais ce même verdict des faits n’a pas été moins sévère à l’égard de la dictature émigrée de Paris, qui a pendant cinq mois violenté la France sans pouvoir davantage plaider la circonstance atténuante du succès. Après la chute de l’empire, qui avait pris une si formidable responsabilité sans être en état d’y suffire, la république était possible, je dirai plus, elle devenait probable. Elle était comme portée par la situation. Pour la faire accepter par tous les partis, il n’y avait qu’à ne point les effaroucher par l’annonce des revendications ou des représailles. Par un prodige de modération qui n’était guère, il est vrai, dans les instincts des triomphateurs, il fallait proclamer, et mieux encore, démontrer par des faits que la république est par essence un gouvernement de légalité absolue, de liberté garantie et de raison publique. On ne lui demandait que de faire la preuve qu’elle n’était pas incompatible avec l’ordre, et qu’elle était capable de stabilité. Encore une fois, dans une crise pareille, qui se serait refusé à un essai si légitime ?

Qui donc n’aurait fait avec résignation, sinon avec joie, le sacrifice de ses idées particulières et de ses prédilections ? À qui la faute, si un tel idéal n’a pas réconcilié tous les partis sur ce terrain d’expérimentation complètement libre ? À qui, sinon aux républicains de profession, à ceux qui constituent entre eux je ne sais quelle caste fermée ou quelle dynastie inviolable, s’imaginant naïvement que la république est à eux, rien qu’à eux, leur chose, leur bien propre ? Ne les a-t-on pas vus s’en emparer cette fois encore avec une avidité jalouse comme d’un patrimoine, l’exploiter au profit de leurs ambitions, de leurs systèmes, pis que cela, au profit de leurs vanités ou de leurs rancunes, prétendant se l’approprier, comme si le pays, en recevant le bienfait de la république, devait être trop heureux d’accepter en même temps pour ses maîtres à perpétuité ces incapables ou ces déclamateurs, tous ceux-là pour qui, selon le mot cruellement naïf attribué à l’un d’eux, la république est plus qu’une conviction, « une carrière ? » Qu’ils ne s’en prennent qu’à eux, à leur étroitesse d’esprit, à leur impéritie ou à leur intolérance (ils ont le choix), si par malheur il arrivait cette fois encore que l’expérience fût ajournée, et que cette noble république, qui devait être l’œuvre commune et le bien de tous, un gage de conciliation et de paix entre tous les partis, ne fût qu’un gouvernement transitoire, une liquidation du passé, quelque chose comme