Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

telle blessure. De loin et dans la perspective, de pareilles scènes peuvent faire illusion. De près, le détail est navrant, et, si le spectacle du 2 décembre avait été profondément démoralisateur, celui de la journée vengeresse du 4 septembre ne releva guère le niveau de la moralité publique. Des coups de force du pouvoir aux coups de force de la rue, la différence n’est pas grande. Si quelques-uns des triomphateurs de ce jour ont sauvé plus tard par la dignité de leur attitude les risques effrayans qu’ils ont ce jour-là fait courir à leur probité parlementaire, plusieurs ne s’en relèveront pas. — Ce fut là le premier malheur de la république de 1870 : son berceau a été une chambre envahie. Elle n’a pas eu d’autre sanction que ce qu’on appelle, dans le droit révolutionnaire, l’acceptation et l’acclamation du peuple.

La révolution du 4 septembre eut d’autres torts bien graves. Du premier coup et avec la plus insigne maladresse, elle s’isola du pays par la nomination de ce singulier gouvernement provisoire qui ne contenait que des noms parisiens, flattant ainsi cette idole de Paris qui croit avoir un droit divin à gouverner la France. Ce fut une faute dont les conséquences ont été incalculables. Je sais qu’on ne pouvait attendre de résultats bien réguliers de cette délégation des pouvoirs faite tumultueusement par l’acclamation populaire. Parmi les hommes qui régnèrent le soir à l’Hôtel de Ville, les uns étaient désignés par l’opinion ou poussés par le zèle d’une coterie que l’on confond volontiers avec le cri de l’opinion ; d’autres, parfaitement obscurs, se glissèrent au pouvoir à la suite des premiers : quelques-uns, estimant qu’ils étaient de droit et de fondation membres de tous les gouvernemens provisoires, se désignèrent eux-mêmes avec un empressement qui suppléait à celui du public. Quant à la distribution des portefeuilles qui eut lieu le même soir, il courut dans ce temps-là des légendes qui auraient ranimé la vieille gaîté française, si les circonstances n’avaient pas été si tristes. Le premier résultat de ce gouvernement improvisé, c’était de mécontenter profondément la province, qui y cherchait les noms investis de sa confiance, et qui ne les trouvait pas. En revanche, elle était tenue d’accepter sans récrimination, parmi quelques personnalités justement honorées, le plus singulier mélange de noms, les uns légèrement ridicules, d’autres presque effrayans, qu’elle ne prononçait qu’avec un sourire ou une sorte de stupeur. Malgré tout, malgré ce grief et bien d’autres, le pays n’avait pas hésité. Il s’êtait donné sans résistance, avec une docilité sans exemple, à ce gouvernement nouveau, ne demandant qu’à voir se révéler enfin du milieu de tant de ruines quelque autorité décisive d’intelligence et de caractère, une inspiration, une pensée