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teur, avec un naïf cynisme, s’y attribuait à lui-même un rôle moins honorable. L’émotion fut grande. Pisandre, un des commissaires, se leva aussitôt pour demander que l’on commençât par abroger la loi qui défendait de mettre à la question un citoyen ; ceci fait, les deux sénateurs incriminés seraient saisis, et, s’ils refusaient de donner les noms de tous leurs complices, torturés jusqu’à ce qu’ils eussent parlé. Tout illégale et cruelle que fût cette proposition, le sénat paraissait disposé à l’accueillir. Mantithéos et Aphepsion, embrassant l’autel qui se dressait au milieu de la salle des séances, défendirent avec énergie leur droit ; ils finirent par obtenir d’être laissés en liberté sous caution jusqu’au moment où ils auraient à comparaître devant le jury ; mais, aussitôt les cautions trouvées et l’argent versé, laissant leurs garans exposés à être frappés en leur lieu et place, ils montèrent à cheval et franchirent la frontière. C’était, on put le croire, s’avouer coupables. En même temps arrivait la nouvelle qu’un corps béotien se rassemblait, et s’apprêtait à entrer en Attique. L’agitation et l’effroi furent alors à leur paroxysme. Le sénat prit les mesures nécessaires : il fit arrêter les quarante personnes dont les noms avaient été donnés par Dioclidès, et, pour pouvoir lutter à la fois contre l’ennemi du dedans et celui du dehors, il appela aux armes tous les citoyens. La nuit venue, les hoplites ou fantassins campaient sur les places d’Athènes et du Pirée. Quant aux cavaliers, convoqués au son de la trompette, ils s’étaient réunis dans l’enceinte sacrée de l’Anakeion. Le sénat s’était déclaré en permanence, et siégeait dans l’acropole.

Ce fut là pour tout le monde à Athènes une nuit terrible, nuit d’épouvante et d’horreur, que ne durent jamais oublier ceux qui avaient passé par ces émotions ; mais ceux à qui les heures durent en paraître le plus longues, ce furent les malheureux qui venaient d’être entassés dans la prison. Tous sentaient que, dans l’état des esprits, ils ne pouvaient compter sur aucune clémence, ni même sur aucune justice ; les garanties qu’accordait l’humaine et sage législation d’Athènes aux accusés en temps ordinaire seraient mises de côté ; peut-être dès le lendemain, innocens ou coupables, tous seraient victimes d’un jugement et d’une exécution sommaires, d’un assassinat juridique. Ce qui rendait la scène plus douloureuse encore, c’était la présence des femmes, des enfans, auxquels on avait permis de pénétrer dans la prison pour revoir les frères, les maris, les pères, qui leur avaient été si brusquement arrachés. Il y avait la sœur, les cousines, les neveux et nièces d’Andocide. Tous les visages étaient baignés de larmes ; on n’entendait que lamentations et sanglots. Ce fut alors, raconte Andocide, que Charmidès, son cousin et ami, son compagnon d’enfance, le prit à partie, le supplia de raconter tout ce qu’il pouvait savoir, afin de calmer Athènes et