Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut faire doute. Que l’impression extérieure, — celle du calorique ou toute autre, peu importé, — aboutisse à un mouvement involontaire sur le supplicié, ou à une perception consciente chez l’homme qui a sa tête sur les épaules, l’acte nerveux dans l’un ou l’autre cas n’en représente pas moins un équivalent des forces qui régissent le monde physique. Tout mouvement musculaire (nous prenons ici le fait simple, mais on en pourrait dire autant des sécrétions, de la transpiration, etc.) peut donc être considéré comme une restitution au dehors, sous forme d’équivalens mécaniques, de toutes les influences reçues du dehors sous forme d’impressions ; mais, une fois lancés dans cette voie, les physiologistes n’avaient plus de raison de s’arrêter. Poussant jusqu’au bout leurs déductions, ils se sont demandé si tous les actes nerveux intermédiaires, la pensée, l’imagination, ne devaient point être considérés comme faisant partie de séries continues dont le point de départ se rattacherait toujours à une impression du dehors, et dont le point terminal serait fatalement une action sur l’extérieur. À la vérité, on ne veut point dire qu’il y ait toujours, d’une extrémité à l’autre du circuit, enchaînement régulier. L’acquit des impressions est parfois considérable, comme dans une lecture, dans l’audition d’un morceau de musique, et la dépense nerveuse parfois considérable aussi dans des actions où nous ne la soupçonnons pas, telles que la marche. Nous ne levons pas le pied sans que des milliers d’incitations parties des centres nerveux aillent éveiller la contraction de nos muscles ; nous ne nous tenons pas debout et droits sans un travail du cerveau. Cette activité cérébrale est à la vérité inconsciente dans les exercices du corps, elle est néanmoins bien réelle : elle explique comment le cerveau, après une fatigue musculaire, a besoin, comme après un grand travail de tête, de se reposer dans le sommeil.

Mais la question importante n’est pas même de savoir si toutes les impressions nerveuses aboutissent plus ou moins vite, plus ou moins tard, à des actes volontaires, si toutes sont rendues au dehors : il est certain qu’elles le sont, au moins en partie. C’est l’autre face du problème qui est intéressante. Toutes nos pensées font-elles nécessairement partie de ces séries continues ; l’imagination, les idées les plus abstraites ne sont-elles toutes que les résultats plus ou moins directs des impressions extérieures ; en un mot, l’ancien axiome : « il n’y a rien dans l’esprit qui n’ait été dans les sens, » est-il l’expression d’une vérité physiologique ? Ou tout au contraire ces actes cérébraux intimes peuvent-ils spontanément prendre naissance en un point quelconque du circuit, la substance grise puisant dans l’apport de sang des principes nutritifs suffisant à son activité propre en dehors de toute excitation ? Les physiologistes sur ce point capital sont divisés.