Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mois, par l’assemblée, et, comme l’assemblée ne semblait nullement disposée à voter des lois nouvelles de proscription même contre ceux dont le nom ne rappelle aujourd’hui que des désastres et des malheurs, c’était bien le moins qu’elle saisît l’occasion de rouvrir les portes de la France aux exilés qui depuis plus de vingt ans subissent ce châtiment immérité, il y avait pour cela une considération de circonstance et une considération de justice.

Il faut bien le remarquer en effet, ce n’est point l’impatience qui a créé cette difficulté, si c’était une difficulté. La question de l’admission des princes d’Orléans ne pouvait plus désormais être éludée, et on pourrait même se demander si elle n’a pas été toujours une de ces questions que les ajournemens successifs compliquent au lieu de les simplifier. Si l’admission de M. le duc d’Aumale et de M. le prince de Joinville avait été purement et simplement prononcée à Bordeaux, elle n’aurait pas pris une certaine gravité à Versailles. Aujourd’hui elle avait cela de particulier, qu’un ajournement nouveau était absolument impossible. Les élections partielles vont se faire le 2 juillet ; il n’y avait plus à reculer, il fallait se prononcer sans plus de retard : il fallait savoir si les départemens de l’Oise, de la Manche et de la Haute-Marne, qui ont nommé M. le duc d’Aumale et M. le prince de Joinville, avaient ou n’avaient pas des députés à élire. La question était donc imposée par la circonstance ; elle était bien plus imposée encore par la justice. Ces princes d’Orléans, à qui on dispute un siège dans le parlement de leur pays, qu’ont-ils donc fait pour exciter, nous ne disons pas un sentiment d’animosité, mais le plus léger sentiment de défiance ? À dire vrai, leur histoire depuis plus de vingt ans est une histoire d’abnégation. Lorsqu’au lendemain de la révolution du 24 février 1848, qui brisait la couronne de leur père, le gouvernement provisoire s’adressait au patriotisme de M. le duc d’Aumale et de M. le prince de Joinville, qui étaient loin de Paris, en demandant à l’un et à l’autre de ne rien faire pour relever un drapeau qui eût rallié sans doute bien des partisans, mais qui aurait pu devenir un drapeau de guerre civile, les deux princes répondaient noblement qu’ils aimaient trop leur pays « pour avoir songé un instant à y porter la discorde. » Pendant ces vingt années, qui n’ont point été sans amertumes pour eux, ils ne se sont point désintéressés de la France, ils ont eu l’orgueil des victoires gagnées pour elle par d’autres, ils l’ont honorée quelquefois par leurs travaux, toujours par la dignité de leur attitude. Lorsque la dernière guerre est venue, ils ont fait le sacrifice qui devait assurément coûter le plus à leur fierté en demandant avec obstination, avec passion, à servir leur pays même sous les ordres de celui qui avait été le spoliateur de leur famille ; ils ont réclamé leur place au combat, « n’importe à quel titre, » et dans cette guerre néfaste, à mesure que les malheurs grandissaient, n’a-t-on