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l’âme du prince[1]. » On trouva même un sénateur complaisant qui affirma qu’il avait vu de ses yeux Auguste monter au ciel. Pour le récompenser, Livie lui fit donner un million de sesterces. À ces honneurs officiels s’en joignirent beaucoup d’autres : à côté du culte public institué par le sénat, on vit naître une foule d’associations, de chapelles, de dévotions de toute sorte, qui étaient l’œuvre des particuliers. Livie naturellement en donna l’exemple. Elle fit construire dans le Palatin même une sorte de sanctuaire domestique dont elle était la prêtresse, et autour duquel elle réunit les amis et les cliens de la maison. Elle ne voulut pas même exclure les histrions qu’Auguste avait aimés ; le mime Claudius, malgré sa mauvaise réputation, parut dans les jeux qu’elle donna chez elle en l’honneur de son mari, et le danseur Bathylle devint plus tard le sacristain de son temple. Toutes les familles importantes de Rome imitèrent Livie. Partout, dit Tacite, il se forma des associations pieuses en l’honneur du prince qui venait de mourir, composées des parens, des serviteurs et des cliens, qui se réunissaient sans doute à certains jours pour des cérémonies communes. L’élan une fois donné par la capitale, tout l’empire suivit, et partout se fonda, plus encore par l’initiative privée que par l’intervention du pouvoir, le culte de celui qu’on n’appela plus que le divin Auguste, divus Augustus.


IV.

L’apothéose impériale a vécu autant que l’empire, plus de trois siècles. Pendant cette longue durée, elle a mis la crédulité publique à de rudes épreuves : on a eu le dieu Claude, que sa femme, dit Juvénal, précipita dans le ciel en lui faisant manger cet excellent plat de champignons après lequel il ne mangea plus rien ; on a eu le dieu Commode, que Sévère fit proclamer un jour par son armée dans un accès de mauvaise humeur contre le sénat. Je ne parle pas d’Antinoüs, parce qu’il ne reçut jamais de consécration officielle et

  1. Ce bûcher se trouve figuré sur plusieurs médailles impériales, notamment sur celles d’Antonin et de Marc-Aurèle. Les beaux bas-reliefs de la colonne antonine représentent aussi quelques-unes des cérémonies relatives à la consécration des empereurs. Sur deux des faces du piédestal, on trouve reproduits les soldats avec leurs armes, les cavaliers avec leurs enseignes, qui courent autour du bûcher. Sur la troisième, un génie ailé, le génie de l’univers, selon Vignoli, ou celui de l’éternité, d’après Visconti, emporte sur ses ailes Antonin et sa femme Faustine, divinisés tous les deux, et auprès desquels sont placés les deux aigles qui s’envolèrent du bûcher à leurs funérailles. Au-dessous du génie, Rome, dans son costume traditionnel, les regarde partir, et sur son visage se peignent à la fois la joie des honneurs qu’ils obtiennent et le regret de les perdre.