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maîtres de la place, qu’à constituer un centre d’action. Dès qu’ils crurent le moment venu, ils créèrent de toutes pièces en face du gouvernement légal un pouvoir militaire et un pouvoir politique. A l’état-major officiel de la garde nationale, ils opposèrent ce « comité central » qui prétendait être une délégation de 215 bataillons, et qui fut tout entier leur œuvre; à l’assemblée nationale, ils opposaient le « parlement en blouse. » Leur principal organe, le Cri du peuple, par le citoyen Jules Vallès, futur membre de la commune, annonçait le 27 février ce. te dernière institution :


« Connaissez-vous entre le Temple et le Château-d’Eau, pas loin de l’Hôtel de Ville, une place encaissée, tout humide, entre quatre rangées de maisons? Elles sont habitées au rez-de-chaussée par de petits commerçans dont les enfans jouent sur le trottoir. Il ne passe pas de voitures, les mansardes sont pleines de pauvres. On appelle ce triangle vide la place de la Corderie... Regardez bien cette maison qui tourne le dos à la caserne du faubourg et jette un œil sur le marché. Elle est calme entre toutes les autres. Montez. Au troisième étage, une porte qu’un coup d’épaule ferait sauter, et par laquelle on entre dans une salle grande et nue comme une classe de collège. Saluez, voilà le nouveau parlement! C’est la révolution qui est assise sur ces bancs, debout contre ces murs, accoudée à cette tribune, la révolution en habit d’ouvrier! C’est ici que l’Association internationale des travailleurs tient ses séances, et que la fédération des corporations ouvrières donne ses rendez-vous. Cela vaut tous les forums antiques, et par ces fenêtres peuvent passer des mots qui feront écumer la multitude, tout comme ceux que Danton, débraillé et tonnant, jetait par les croisées du Palais de Justice au peuple qu’affolait Robespierre. »


Sur quel chiffre d’adhérens pouvait compter, dans la population de Paris, ce double pouvoir qui se croyait assez fort pour renoncer à l’action occulte? Deux des chefs de l’Internationale, les citoyens Malon et Tolain, avaient été élus à Paris, l’un avec 117,000, l’autre avec 89,000 voix; mais des causes diverses avaient contribué à leur succès. Les votes qui appartiennent en propre et sans conteste aux élémens déjà groupés du comité central et de la future commune ne s’élèvent pas à 60,000[1]. Si l’on ajoute les purs révolutionnaires, étrangers à l’action toute socialiste de l’Internationale, mais prêts à la seconder dans une pensée de destruction, et la tourbe, toujours nombreuse dans une grande ville, des simples malfaiteurs, qui aiment le désordre pour lui-même et pour les profits qu’ils en espèrent, en dehors de toute passion politique, il faut

  1. Voici quelques chiffres qu’il n’est pas Hors de propos de rappeler, les noms qu’ils concernent appartenant désormais à l’histoire : Assi, 58,776 voix; Varlin, 58,384; Jobannard, 50,331; Vaillant, 49,340; Theisz, 49,230; Ranvier, 40,865.