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cales. Sauf de rares et impuissantes exceptions, ils se débandèrent partout où l’insurrection se présenta devant eux sous un uniforme qui n’éveillait dans leurs âmes que des sentimens sympathiques. Les meilleurs refusèrent de combattre; les plus mauvais ou les plus faibles jetèrent leurs armes, fraternisèrent avec l’émeute, et, soit scélératesse naturelle, soit besoin d’assourdir le cri du devoir, quelques-uns offrirent ou prêtèrent leurs bras pour les crimes les plus exécrables. Dès lors toute résistance est vaine. Là même où elle est essayée par les gardes nationaux fidèles, ils reçoivent l’ordre de céder. A cinq heures du soir, la plupart sont congédiés sans autre instruction que de rester chez eux et de se tenir prêts au premier signal. Le rappel bat toute la nuit; mais il ne bat que pour l’émeute, par l’ordre du comité central. Le lendemain matin, une proclamation signée par les ministres présens à Paris, après avoir rappelé les attentats commis, se terminait par ces mots qui, sous la forme d’un dernier appel, n’étaient qu’un reproche immérité : « Voulez-vous prendre la responsabilité de leurs assassinats et des ruines qu’ils vont accumuler? Alors demeurez chez vous; mais, si vous avez souci de l’honneur et de vos intérêts les plus sacrés, ralliez-vous au gouvernement de la république et à l’assemblée nationale. » Cette proclamation ne put être affichée. Beaucoup de gardes nationaux qui la lurent dans le Journal officiel sortirent, la rougeur au front, à la recherche d’ordres qui leur permissent enfin de se dégager de la solidarité honteuse dont ils étaient menacés. Les ordres étaient absens. Ce n’étaient de toutes parts que soldats jetant, donnant ou vendant leurs armes, que gardes nationaux insurgés campant auprès de barricades qui ne leur avaient pas été disputées, et devant les principaux édifices publics, qui leur avaient été livrés sans coup férir. Nulle trace d’ailleurs de cet enthousiasme qui suit les victoires populaires. A peine l’expression d’une satisfaction enfantine chez ceux qui se partagent les chassepots des soldats, ou qui veillent avec complaisance sur leurs canons. Les événemens sont encore confus pour tout le monde, et l’affiche qui révèle à la population la plus vaniteuse du monde entier les noms obscurs de ses nouveaux maîtres n’est pas propre à faire la lumière dans les esprits et dans les consciences.

Maintenant, dans cette néfaste journée, que devaient suivre de plus néfastes encore, quelles ont été les responsabilités? Le crime est tout entier du côté des insurgés et de ceux des soldats qui se sont faits leurs complices; ailleurs il n’y a eu que des fautes, et les plus graves ont été commises par les autorités civiles ou militaires, dont toutes les mesures ont été imprudentes ou mal conçues. Si on ne peut accuser l’illustre chef du gouvernement, retenu loin de Paris pendant et après le siège par les plus hauts comme les