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delà des deux tropiques, jusque dans la partie boréale de notre hémisphère.

Il existe donc au sein des mers une vaste et double circulation dont l’activité ne se ralentit jamais. L’échange est perpétuel entre les pôles et l’équateur, et les courans grands et petits ne sont en réalité que les accidens du mouvement qui agite sans trêve le vaste océan. Ce n’est pas en vain, si l’on y regarde de près, ce n’est pas sans but déterminé que les flots succèdent aux flots. Partis du pôle, ils s’acheminent les uns après les autres, perdant la lumière de ces pâles régions, gagnant peu à peu le fond des abîmes. Ils s’y perdent enfin ; ils vont à la nuit, comme nous à la mort. Pendant que les vagues tièdes, venues des régions aimées du soleil, suivies dans leur course par une foule d’êtres vivans, étincellent et bruissent en plein soleil, les ondes froides s’enfoncent, comme celles du Léthé, dans le pays des ombres; mais, semblables en tout à celles du Léthé, une fois ensevelies, elles pourront renaître un jour à la vie et à la lumière.


III.

Dans ce milieu obscur, froid, éternellement calme, des êtres demeurent confinés, puisque la vie s’est répandue jusque dans de telles profondeurs. Vainement la réalité de leur existence a été longtemps et obstinément niée : d’heureuses découvertes, dont les plus anciennes paraissent dues aux célèbres navigateurs anglais sir John et sir James Ross, ont renversé de nos jours l’opinion scientifique qui transformait en un vaste désert le sol sous-marin au-dessous de 400 à 500 mètres à partir de la superficie; mais on peut dire que les draguages du Lightning et du Porcupine, en confirmant ces premières observations, ont amené des résultats qui nous initient aux plus intimes secrets de la vie océanique. Précisons d’abord à cet égard certaines généralités.

La distribution des êtres marins comme la distribution des animaux et des plantes terrestres en zones successives de la base au sommet des montagnes paraît frappante au premier abord. Les espèces s’arrêtent à divers niveaux à mesure qu’elles rencontrent la limite que le froid oppose à chacune d’elles : les plus capables de lui résister s’élèvent plus que les autres, les dernières finissent par disparaître vers 6,000 mètres dans les régions les plus favorisées. Au sein de la mer, des zones biologiques se succèdent aussi dans un ordre régulier et constant, mais, on peut le dire, en sens inverse, puisque la profondeur joue le rôle de l’altitude, et, comme celle-ci, amène le froid. Les êtres marins qui persistent au-des-