Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que légères, les consciences l’étaient aussi, et tout cela roulait pêle-mêle vers l’abîme; puis vint la période de l’agitation à perpétuité, le commencement ou plutôt l’essai de la terreur par l’injure poussée jusqu’à l’hyperbole, la polémique la plus violente des personnalités substituée à la discussion des idées. Chacun à son tour, parmi les plus honnêtes gens, dut compter avec ces Suétones de la démagogie; mais voici la troisième période, celle où le journal se fait l’instrument très actif et très réel de la terreur qu’il a célébrée, appelée, et qui est enfin venue. Les bureaux de cette presse sont devenus l’antichambre de La Roquette. Chaque jour, ces écrivains font leur besogne, et quelle besogne! Dénonciateurs publics, exécuteurs des hautes et basses œuvres, pourvoyeurs des soupçons populaires, nous les avons vus de près, ces sycophantes de la populace, irritant la misère, versant à flots sur ses plaies leur littérature corrosive, leur vitriol et leurs poisons. A quoi bon d’ailleurs caractériser dans le détail ces hallucinations de la méchanceté humaine? Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’explosion de ces passions mauvaises n’a pas été aussi soudaine et aussi imprévue qu’on veut bien le dire. Elle n’a surpris que ceux qui n’observent rien : toutes ces passions haineuses se donnaient libre carrière depuis longtemps dans cette presse; tous les programmes s’y étalaient impudemment. On peut bien dire que depuis deux ans il y avait des feuilles qui suaient le crime. Que voulez-vous? Il fallait vivre et bien vivre. Or c’était, paraît-il, la méthode la plus expéditive pour lancer un journal. Les bohèmes libérés avaient fait le serment de ne plus retomber dans le bagne de leur misère; c’était à leur bonne ville de Paris de payer à ces messieurs le luxe de leurs chevaux, de leurs voitures, de leurs maîtresses et de leurs dîners. Puisque ce genre de littérature lui plaisait, il était juste qu’elle en fît les frais. Il est bien avéré maintenant que ces forfaits littéraires et politiques qui ont jeté l’horreur au milieu de notre civilisation n’étaient pour beaucoup de ceux qui les commirent ou les suggérèrent que l’envers de la question d’argent.

Il ne s’agit dans cette étude que des écrivains qui passèrent tout d’un coup de la littérature légère à la révolution radicale; on laisse de côté le journalisme politique, où il serait facile de trouver des fanatiques sincères et un délire de bonne foi. Là au contraire, si le délire arriva plus tard, ce fut par la lutte et la péril croissant; au point de départ, il n’y avait chez la plupart de ces écrivains qu’une idée, celle de s’enrichir aux dépens des haines populaires. Chez quelques-uns se joignit à cette passion celle du pouvoir acquis n’importe à quel prix, partagé n’importe avec qui, et dût-il ne durer qu’un jour. Être à leur tour les maîtres, faire trembler à leurs pieds cette société qui les avait si longtemps relégués dans l’ombre, mé-