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rares descendans de ces montagnards qui ont étonné l’Europe par leur courage, le député Plastiras, un des hommes les plus populaires et les plus estimés du pays, allait de maison en maison expliquer à chacun le devoir de reconnaissance auquel tous les Grecs étaient tenus envers le peuple français. À Nauplie, foyer des idées libérales, une femme justement célèbre réunissait chez elle et encourageait les partisans de la France.

En peu de temps, dans ce petit royaume de Grèce, à peine aussi peuplé que le département de la Seine, plus de 1,500 volontaires étaient réunis. M. Gennadios en rassemblait lui-même 1,200 autres, choisis presque tous parmi les montagnards et les Grecs les plus belliqueux, dans les vieilles familles guerrières de Souli, de l’Épire, de la Roumélie, du Péloponèse, et que devait commander un chef intrépide, le colonel Pétropoulaki, fils du dernier défenseur de la Crète. Il en serait venu un plus grand nombre, si le gouvernement prussien n’avait insisté auprès du gouvernement grec pour qu’on surveillât les côtes et qu’on s’opposât au départ. Le roi George, en sa qualité de Danois, eût volontiers favorisé la France aux dépens de la Prusse ; mais son mariage avec une fille du grand-duc Constantin le plaçait en quelque sorte sous la dépendance de la Russie, et la Russie ne dissimulait pas ses préférences prussiennes. Il prit donc les mesures qu’on exigeait de lui ; il envoya au Pirée de nombreuses patrouilles, et soumit à une rigoureuse surveillance les soldats de l’armée régulière, parmi lesquels on lui signalait des tentatives d’embauchage. Du reste le port était soigneusement gardé par le consul de Prusse, qui, de concert avec le commandant de place, très zélé pour les intérêts de la Russie, ne laissait partir aucune personne suspecte. Quelques militaires, ayant essayé de forcer la consigne pour s’embarquer à bord des bâtimens français, furent arrêtés et conduits par mesure disciplinaire au fort de Palamidès, où l’on compta jusqu’à 100 prisonniers retenus à la fois pour la même cause. La police et la gendarmerie faisaient des rondes de nuit si sévères entre Athènes et le Pirée, que, sur 15 séminaristes qui essayèrent de franchir cette ligne pour rejoindre les volontaires, 12 furent découverts ; 3 d’entre eux seulement arrivèrent à destination, y compris un enfant de quinze ans, Kypriadès de Lépante, qui était le plus brillant élève du séminaire d’Athènes.

Ces précautions rigoureuses, mais tardives, n’avaient pas empêché les 1,500 volontaires de la première heure de partir pendant que la route était encore ouverte, les uns sur des bâtimens grecs, les autres sur des bateaux de nos Messageries nationales, où l’industrie et le patriotisme d’un agent de la compagnie leur assuraient le passage. Leur arrière-garde arrivait à Messine au commencement de