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les documens du moyen âge. Ces légistes n’ont pas eu à découvrir le droit romain, par la raison que les codes de Rome n’avaient jamais cessé d’être connus en France, d’être étudiés et traduits, d’être cités et invoqués; on en retrouve des articles jusque dans les capitulaires des Carlovingiens. Ces mêmes légistes, loin d’attaquer comme on le dit le droit féodal, en ont au contraire soutenu énergiquement les principales règles, et, plutôt que de battre en brèche le régime social de leur temps, ils se sont attachés d’ordinaire à le régulariser et à l’affermir. Quelqu’un qui leur eût dit qu’ils étaient des novateurs les aurait assurément fort étonnés.

La naissance de cette classe des légistes et ses progrès sont des faits bien plus simples et plus naturels qu’on ne le croit généralement. A mesure que la plupart des hommes s’affranchissaient du devoir de juger, s’éloignaient des plaids et des cours féodales, et laissaient transformer le service de justice en une amende et en un impôt, il se trouva quelques hommes qui, par goût ou par intérêt, firent exception à l’insouciance générale, et prirent à cœur de juger les procès et d’appliquer les lois. Ils furent assidus aux plaids et aux assises; ils gravèrent dans leur mémoire les coutumes du pays et les arrêts des cours; ils prirent la peine de lire et d’étudier les recueils de lois qui existaient alors, c’est-à-dire les lois romaines et les lois ecclésiastiques. On appela ces hommes des légistes. Le mot ne désignait nullement des fonctionnaires, et n’était pas synonyme de magistrat; il marquait seulement que l’homme à qui l’on donnait ce titre avait la connaissance des lois et se plaisait à les étudier. Être légiste n’était ni une dignité, ni même une profession; c’était un goût, une aptitude, un certain tour d’esprit joint à une certaine application. On était légiste à peu près comme on est docteur en droit. Quelquefois on méritait ce titre par un examen subi dans les écoles; quelquefois aussi on était réputé légiste par cela seul qu’on savait les coutumes, et qu’on remplissait le devoir de justice avec plus d’assiduité et plus de soin que La foule. Qu’on fût d’ailleurs laïque ou ecclésiastique, bourgeois ou gentilhomme, c’était de peu de conséquence; il n’était pas nécessaire non plus de porter une certaine robe. On pouvait être légiste et homme d’épée tout à la fois; le sire de Joinville était un légiste.

Les premiers légistes furent des prêtres. Durant tout le moyen âge, le clergé fut fort attentif à étudier les lois romaines, à rédiger ses propres lois, à observer même les lois féodales. Il appliquait tour à tour les unes et les autres dans ses « cours de chrétienté » et dans ses cours séculières. Il serait impossible de citer le plus ancien des légistes, car c’est une chaîne dont on ne peut saisir le premier anneau; mais il faut citer au moins parmi les plus anciens