Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la marine. Le rôle du mécanicien ne demeurera pas longtemps subalterne ; si le corps des officiers de vaisseau ne lui ouvre ses rangs, ce sera le corps du génie maritime qui devra forcément lui faire place dans les siens. Toute autre solution ne sera qu’un palliatif, et ne tardera pas à paraître insuffisante.

J’ai passé successivement en revue les divers élémens dont se compose un équipage : les canonniers, les fusiliers, les timoniers, les mécaniciens. Je n’ai omis que les hommes chargés du service des hunes, ces matelots par excellence, si honorés jadis sous le nom de gabiers. On avait pensé, fort à tort selon moi, que la navigation marchande nous les fournirait suffisamment dégrossis, et que nous pourrions achever leur instruction en cours de campagne, en même temps que celle des hommes de pont. L’homme de pont, c’est la plèbe maritime, à cheval de poste « qui ne dit rien et qui fait tout marcher. » On le voit tour à tour sur les vergues occupé à serrer les voiles, un fusil à l’épaule ou un aviron sur les bras, un garant de palan, un balai ou un levier de canon à la main. Les progrès de la mécanique lui feront des loisirs ; pour le moment, il n’en a guère. Sa spécialité consiste à prêter son concoure à celles de tous les autres.

Le décret du 5 jain 1856 était une de ces ordonnances qui, au temps de Colbert ou de M. de Choiseul, auraient vécu cent ans. Il nous assurait de bons matériaux d’équipages ; nous n’avions plus qu’à trouver le ciment qui les pût assembler. Ici peut-être se laissa-t-on entraîner un peu loin par le désir de hâter et de faciliter l’armement. On perdit un grand motif d’émulation en sacrifiant la cohésion des équipages. Uniquement préoccupé de les former rapidement, on permit au désarmement de les dissoudre et de les jeter dispersés aux quatre vents de l’horizon. Cette disposition, qui sépare brusquement de vieux compagnons, des pays, habitués à supporter ensemble les ennuis du service et à mettre en commun leur amour-propre pour l’honneur du navire, est une disposition vicieuse ; il y faudra remédier. Nous avions eu, sous le premier empire, les équipages de haut-bord, en d’autres termes le régiment naval ; les dernières années de la restauration nous avaient légué les compagnies permanente : le ministre n’admit en 1857 d’autre permanence que celle d’un cadre d’officiers et d’un cadre de sous-officiers destinés à embarquer à tour de rôle. Tout le reste fut soumis au licenciement et au fractionnement le plus absolu. Les casernes de nos ports, occupées naguère par les compagnies permanentes, servirent à loger les dépôts de spécialités, sorte de réservoir où l’administration alla puiser, pour chaque vaisseau entrant en armement, le nombre de canonniers, de fusiliers, de timoniers, de mé-