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d’évolutions devrait être à tout prix conservée ; mais une considération plus importante, s’il se peut encore, nous en commande impérieusement le maintien. C’est notre seule école de tactique. La marine la plus tacticienne apportera un grand élément de supériorité sur le champ de bataille. Quand deux flottes se rencontreront, quand les lignes, après avoir fondu l’une sur l’autre, se seront pénétrées, la lutte ne pourra se continuer que par un brusque renversement de la route primitivement suivie. Cette manœuvre, presque inévitable, est de nature à causer entre les bâtimens d’une même armée plus d’un choc involontaire ; la composition homogène de la flotte, la symétrie des courbes de giration, atténueront ces risques ; l’habitude des mouvemens d’ensemble les fera disparaître. Ce n’est pas dans la pratique des évolutions régulières, des passes géométriques, qu’il importe le plus de faire preuve d’un coup d’œil exercé ; l’habitude est bien autrement nécessaire, quand on veut acquérir l’aplomb qu’exigeront la plupart des mouvemens de combat. Ni les navigations isolées, ni les simulacres d’escadres composés d’avisos ou de canonnières, ne constituent pour cet art difficile une école suffisante. Il faut apprendre à faire mouvoir dans un espace restreint des masses de 6,000 ou 7,000 tonneaux, qui ne peuvent venir en contact sans se broyer mutuellement. Il faut se faire aux émotions de ces graves collisions, souvent imminentes ; il faut s’habituer à marcher de nuit aussi bien que de jour en ordre serré, savoir se grouper, savoir se répandre, présenter tantôt une masse compacte, tantôt des échelons successifs ; il faut surtout posséder la science indispensable, celle qui consiste à comprendre le chef à demi-mot, à surveiller les moindres déviations de sa route, à s’inspirer de son exemple et à se passer de ses signaux. Tout le secret de la tactique navale est là. Il n’y a qu’une définition pour cette tactique : elle est l’art de se soutenir dans le combat et de ne pas s’aborder. Les plus habiles sont ceux qui peuvent encore combiner leurs efforts, quand la transmission régulière des ordres est devenue impossible. La dernière économie que la France doive faire, c’est donc, à mon avis, celle d’une escadre d’évolutions. Le jour où l’état de nos finances nous interdirait l’entretien d’un pareil armement, il faudrait que, chaque année au moins, une campagne d’instruction, — ne durât-elle qu’un mois, — vînt préserver d’un complet oubli les précieuses traditions que nous devons à un demi-siècle d’études. Avec des armemens réduits, ni les embarquemens d’officiers, ni les commandemens ne pourront se prolonger aussi longtemps que par le passé. Si l’on admet, comme j’ai essayé de l’établir, qu’il y a en temps de paix peu de démonstrations de force nécessaires, qu’il faut surtout armer en vue d’aguerrir et d’instruire les élémens dont on aura besoin à l’heure des combats, on cher-